La bataille des réseaux sociaux est perdue. Changeons de terrain.

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Image des réseaux sociaux
Les réseaux sociaux

Début de cette semaine, Facebook a annoncé que l’agence de presse française AFP allait contrôler la « véracité » des informations postées et partagées sur la plateforme par les Belges. L’AFP rejoint donc deux autres « vérificateurs » officiels – les groupes de presse DPA et Knack – chargés de traquer les « fake news » dans les deux langues nationales. Cette annonce fait suite à la suppression définitive, la semaine précédente, du compte Twitter de Schilde & Vrienden, ainsi que de plusieurs autres comptes de militants identitaires français et autrichiens.

L’étau se resserre sur les réseaux sociaux, et il n’y a probablement aucune issue. Comme je l’ai déjà expliqué dans un précédent article, les chances que le nouveau site de microblogging Parler perce face au concurrent bien installé qu’est Twitter sont très faibles. Si Parler ne dégénère pas comme Gab en un repoussoir nazi (c’est aux modérateurs d’en décider), le réseau social libertarien deviendra alors un petit safe space pour convaincus « de droite » plutôt qu’une grande place publique digitale où rencontrer et peut-être convaincre d’autres citoyens. Du reste, Parler dépend d’Apple et de Google pour la distribution de son application mobile, et s’expose donc à leurs oukases idéologiques.

Beaucoup d’utilisateurs frustrés par la censure numérique fondent leurs espoirs sur Donald Trump. Fin mai, le Président américain avait signé un décret limitant les capacités de modération des réseaux sociaux en réponse à la décision de Twitter de signaler un de ses tweets comme « faisant l’apologie de la violence ». En vertu de ce décret, le procureur général William Barr doit très prochainement soumettre au Congrès un projet de loi pour attaquer l’immunité juridique dont jouissent les réseaux sociaux en leur qualité de plateformes.

Cet executive order de Donald Trump pose plusieurs problèmes, d’abord du point de vue de sa légalité. C’est surtout une lame à double tranchant : en faisant des réseaux sociaux des éditeurs responsables des contenus postés sur leur plateforme, le Président veut les contraindre à respecter la liberté d’expression de leurs utilisateurs. Mais si leur immunité juridique venait à sauter, les réseaux sociaux réagiraient probablement en redoublant la censure pour se protéger contre les poursuites judiciaires. De plus, pour que ce projet aboutisse, il faudrait que le Président se fasse réélire dans quatre mois, et que la Chambre des Représentants tombe dans les mains des Républicains. Et ça commence à faire beaucoup de conditions, toutes hors d’atteinte des Européens qui n’ont d’autres choix que de subir en silence ce débat importé.

La liberté virtuelle est morte, vive la liberté réelle !

Au lieu de fonder tous leurs espoirs sur une concurrence précaire ou sur le législateur américain, les utilisateurs mécontents des réseaux sociaux devraient prendre un peu de recul. La bataille des réseaux sociaux est probablement perdue, mais la guerre n’est pas finie, et il reste un autre terrain à conquérir : le monde réel.

On ne change pas le monde en trollant et en balançant des memes confortablement caché derrière un pseudonyme. Au mieux, c’est un défouloir, mais qui se paie d’un lourd tribut mental à en juger par le climat toxique qui règne sur les réseaux sociaux (et sur Twitter en particulier). Les conservateurs inspirés par la critique tocquevilienne de l’individualisme se plaignent souvent de vivre dans une société « atomisée » et conformiste, désertée par le courage. Ils devraient joindre le geste à la parole, et se distancer de ces écrans qui prospèrent sur les ruines de l’atomisation sociale. Les réseaux sociaux offrent un succédané toxique de sociabilité à des gens en panne de connexions réelles. Il y a un vide à combler : occupons-le !

À cause de la censure, les réseaux sociaux ne pourront bientôt plus servir de caisson de résonance aux opinions dissidentes. Mais cette censure est limitée dans son intention et dans son application. Les réseaux sociaux restent un outil formidable pour s’organiser et se rencontrer dans le monde réel. C’est le cas en particulier de Facebook, qui favorise maintenant la création de groupes plutôt que de pages pour éviter les controverses publiques. C’est en postant un appel sur son propre mur et sur le groupe public « Conservons et défendons nos Statues et Monuments Historiques ! » qu’Aymeric de Lamotte, ancien membre du MR et candidat malheureux des Listes Destexhe en 2019, a pu réunir fin du mois passé une vingtaine de citoyens pour aller nettoyer une statue de Léopold II vandalisée. La Libre, Le Soir, 7sur7 et Het Laatste Nieuws ont couvert l’évènement. Des gens se sont rencontrés, se sont sentis moins seuls et se sont promis de recommencer et de répandre le mot. C’est petit, mais c’est un début, et un exemple à suivre.

Du monde virtuel au monde réel, il n’y a qu’un pas…

Alors, donnons sa chance à Parler. Continuons d’être présents sur les réseaux sociaux, et continuons de nous plaindre bruyamment de la censure qui y a court. Mais ne confondons pas tout : la liberté d’expression comme valeur régulatrice des réseaux sociaux est peut-être morte, mais la liberté d’expression comme droit opposable à l’État figure toujours en bonne place dans nos constitutions. N’en déplaise à Donald Trump, ce droit ne nous autorise pas à dire ce que nous voulons sur des plateformes dont nous ne sommes pas les propriétaires. Mais ce droit nous permet de nous rencontrer, de nous associer et de nous exprimer dans l’espace public réel. Il ne tient qu’à nous de le reconquérir. Autrement, cette liberté réelle ira rejoindre au cimetière nos libertés virtuelles.

Nicola Tournay.