Il y a plusieurs semaines, nous avions ouvert nos lignes à la détresse des restaurateurs qui avaient très dignement rendu leur tablier le temps de l’étendre ostensiblement sur les pavés de la Grand Place de Bruxelles. Aujourd’hui, c’est un des leurs qui s’est donné la mort.
Au fond de nous, chacun sait que la crise économique qui se lève possède tout le potentiel pour se transformer en cataclysme. Gérard Miller, restaurateur liégeois, doté d’un esprit avisé hors du commun en était probablement plus conscient que n’importe qui. Gérard était un ami. Un ami talentueux à tous les égards. Sa cuisine était aussi délicieuse que son humour parce que tous deux étaient soutenus par l’intelligence et l’excellence. C’est lui qui m’a fait découvrir, il y a de cela quelques années déjà la viande maturée. C’est en pensant à des amoureux de la cuisine comme lui que je me disais qu’il faudrait vraiment que B-Mag ouvre une rubrique gastronomique.
Le drame de notre époque que l’on a de cesse de nous vendre comme formidable, c’est qu’elle n’appartient plus à l’intelligence, et encore moins à l’excellence. Et si on s’y penche de plus près, on réalise avec effroi qu’elle n’appartient plus vraiment à ceux qui travaillent. Faites les comptes et retirez toutes les personnes qui ne produisent pas de richesses, voire pire, celle qui oeuvrent à la destruction de la société.
Citons pêle-mêle et de façon non exhaustive les 1.300 fonctionnaires de l’Afsca payés pour tuer les restaurateurs et les petits artisans, les neuf ministres de la santé que compte ce pays et à leur image, une armée de mandataires forte de milliers de personnes planquées à tous les étages. Muriel Targnon, ça rime un peu avec tas de pognon, non?
Et toutes ces asbl, abreuvées de subsides? Il y en a tellement que personne n’a jamais réussi à en dresser le cadastre. On imagine le désastre si le contribuable venait à découvrir ce qui lui est prélevé pour financer les officines à l’avant-garde de la destruction des statues de Léopold II ou le bar à chichas déguisé en centre culturel qui en plus du reste lui pollue sa rue avec ses nuisances sonores… et autres.
Ajoutez à tout cela la masse grossissante des assistés « full options » qui grève les CPAS de ses allocations et avantages divers. Et comme s’il en manquait, on en fait venir par bateau. Merci Maggy d’avoir détruit des masques pour assurer la logistique de ces flux d’enrichissement.
Arrivent enfin, les chômeurs. Ceux qui cristallisent toutes les rancoeurs, boucs émissaires d’une société qui se croit encore productrice de richesse là où elle n’est finalement plus que redistributrice d’une dette à perpète. Ces chômeurs, sont pour la plupart d’ex-travailleurs, souvent salariés, dont l’employeur ne parvient plus à prendre en charge les charges patronales, cette autre forme de taxe particulièrement délétère.
Le chômeur, cette variable d’ajustement que Di Rupo n’a pas hésité à exclure en masse, est l’arbre qui cache la forêt d’une organisation – et surtout d’une conception du travail déconnectée de la production richesse- totalement dysfonctionnelle. Le chômeur structurel, c’est ce pauvre hère qui résulte de décennies de régulation du marché de l’emploi arrivées à une impasse. Il n’en restait « que » 330.000 avant la crise sanitaire, c’est à dire 70.000 de moins que le nombre de personnes prise en charge par le secteur de l’invalidité (un chiffre qui a bondi de 67% en dix ans et auquel il faudrait ajouter les fonctionnaires qui bénéficient d’un régime spécial) . On les maintenait en survie. A l’inverse de celui qui émarge au CPAS et qui peut s’enorgueillir d’avoir remporté le Win For Life, le chômeur incarne le premier échelon de la classe des nouveaux parias. Il est la face cachée de la classe moyenne qui a déjà sombré. Mais pour l’heure, si les temps sont difficiles pour lui, il peut encore espérer survivre.
Mais en dessous du chômeur, on trouve le petit indépendant. Celui-ci se tue à la tâche pour maintenir son activité. Souvent, il a contracté des emprunts pour financer son outil de production. Dans ces conditions on comprend aisément que le travail ne permet plus à de nombreux indépendants de tout simplement survivre une fois intégrées les charges liés aux coûts fixes, dont les prêts. Si le chômeur est en sursis, l’indépendant lui est déjà dans le couloir de la mort.
Les restaurateurs l’avaient dit, haut et fort. Ce n’était pas pour se donner en spectacle qu’ils ont aligné leur blouse au sol en mai dernier à l’initiative d’Antoine Pinto, célèbre restaurateur bruxellois et ami de Gérard Miller. C’était un véritable cri d’alarme. Aujourd’hui, une de ces blouses à terre est le linceul d’un des leurs. Le drame, c’est que l’on peut déjà dire que d’autres suivront.
Dans notre monde déconnecté du réel, celui qui produit de la richesse en reçoit moins que celui qui, au mieux brasse du vent et au pire, génère le chaos. Ces dysfonctionnements n’ont pas attendu le coronavirus pour étrangler notre société. C’est juste que maintenant la violence du phénomène est telle qu’il est impossible de cacher les morts.
Qu’a fait cette armée de mandataires qui ne connaît pas des fins de mois difficiles? Non seulement elle été incapable de mettre en place les conditions nécessaires pour limiter la contagion en fournissant des masques quand il le fallait mais en plus elle dilapide des millions dans des politiques qui n’ont d’autre finalité que de contenter des clients, qu’il s’agisse des égorgeurs de moutons ou des adeptes du vélo-cargo.
Pourquoi ne pas permettre aux indépendants de stabiliser leur situation en leur offrant une porte de sortie? Pourquoi ne pas leur offrir les garanties du chômage sur le plus long terme? Comment expliquer que l’on refuse à certains le droit à la survivre tandis que d’autres ont pu recevoir des allocations pour fiancer leur djihad en Syrie?
Les prétendus « libéraux » ont rarement été aussi présents qu’actuellement dans les exécutifs, et surtout, à des postes clefs au niveau de la gestion de la pandémie et de ses conséquences économiques pour les indépendants. Au lieu de défendre les intérêts de leurs malheureux électeurs qui voient encore en eux des défenseurs de la classe moyenne, ils les trahissent. Car après avoir médiatisé de beaux discours à la gloire de la « valeur travail », l’indépendant doit se contenter de mesurettes tandis qu’il voit fleurir des actions » éco-solidaires » que ne renieraient pas les Verts.
Pourquoi continuer à dilapider des centaines de millions à planter des éoliennes, condamner les centrales nucléaires et faire pousser des piétonniers et autres pistes cyclables pour transformer la ville en campagne, alors que cette ineptie absolue tue encore un peu plus le secteur de l’Horeca déjà au bord du gouffre sans ça?
Je ne sais pas si Gérard Miller qui, au delà de son humour et de son sens de la dérision, portait une regard critique sur notre époque désolante a pensé à tout cela au moment de commettre l’irréparable. Il était en tout cas suffisamment intelligent pour faire le lien entre une politique et ses conséquences, ce qui n’est malheureusement plus donné à tout le monde. Je sais aussi qu’il avait le courage de regarder la réalité en face. Ce que je ne savais pas, c’est que dans un geste où le désespoir se mêle au courage, de tels éléments feraient peut être passer un ami de l’autre côté des statistiques.
Nous adressons nos sincères condoléances à la famille de Gérard Miller, à ses proches ainsi qu’à tous ceux, nombreux, qui le connaissaient et appréciaient tant son talent que son humour.
Tatiana Hachimi