Une nouvelle régularisation fiscale constituerait une forme d’extorsion fiscale

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Une dépendance maladive et croissante à l’argent

Qui ne s’en souvient pas? L’image, celle d’un Bart De Wever faisant déverser au pied de l’ascenseur de Strépy-Thieux l’équivalent supposé, sous forme de billets factices de € (EUR) 50,00.- (transportés par douze camionnettes), de l’argent transféré de la Flandre vers la Wallonie (soit, en 2005, près de 8 milliards d’euros), avait suscité une vague d’indignation dans la presse et la classe politique francophones.

Quelques années plus tard, il récidivait et se déclarait disposé à acquiescer à un plan de (re-)financement de la Wallonie, à condition que celui-ci ne se mue pas en une transfusion permanente, comme celle effectuée à un junkie. Là encore, la comparaison avait choqué. Si les comparaisons du nationaliste flamand peuvent, à raison, apparaître choquantes, voire caricaturales, il n’en demeure pas moins qu’elles illustrent une évidence: la dépendance vitale des hommes politiques et autorités publiques à l’argent.

On remarquera par ailleurs que les citoyens-contribuables se trouvent pareillement dans un état de dépendance à l’égard de la perception publique, qui frôle l’indignité, voire le servage: en cette année 2020, ils ne sont libérés de cet asservissement fiscal (‘Tax Freedom Day’ ou ‘Jour de libération fiscale’) que depuis ce jeudi 16 juillet 2020 (pour le 19 juillet, en 2019); en d’autres termes, les citoyens-contribuables doivent travailler plus d’une demi-année pour s’acquitter de leur dette fiscale.        

Sans lui, pas de politique possible, ni d’électorat à satisfaire. On le sait: l’argent, c’est le nerf de la guerre!

Dans le contexte actuel, toujours fortement marqué par la pandémie du Covid-19 et ses soubresauts, cette évidence reste plus que jamais d’actualité: l’activité économique au point mort, les rentrées fiscales en berne, la dette et le déficit publics atteignant des niveaux stratosphériques, les hommes politiques sont dans une impasse. Le pire, d’un point de vue économique, est devant nous.

On peut dès lors comprendre que la perspective de faire main basse sur un pactole de près de 50 milliards d’euros (montant censé correspondre aux ‘capitaux noirs’ qui dormiraient sur les comptes bancaires des Belges, selon l’estimation de M. Steven Vanden Berghe, actuel président du Service des décisions anticipées, en abrégé ‘SDA’) fasse saliver d’envie la classe politique et active son imagination.

Si les citoyens belges ont généralement la réputation peu flatteuse d’être « inventifs »en vue de protéger le fruit de leur travail et leur patrimoine, l’imagination des autorités publiques et hommes politiques à se les accaparer est presque sans limite. Les citoyens belges sont à bonne école !

A l’instar du junkie, les pouvoirs publics ont un besoin de plus en plus régulier, et dans des proportions grandissantes, de leur shoot d’argent public. Dès lors, la dernière idée à l’étude pour s’en procurer, suggérée apparemment par le même Steven Vanden Berghe et relayée au Parlement fédéral par le député fédéral Ecolo Georges Gilkinet, consisterait à lancer un cinquième round de ‘régularisation fiscale’.

La saga des DLUs

Présentée à l’origine comme une amnistie fiscale et pénale, le mécanisme de la ‘Déclaration libératoire unique’ (en abrégé, ‘D.L.U.’) se concevait au départ (soit, en 2004, suite à une Loi du 31 décembre 2003) – comme son nom l’indique par ailleurs – comme une opération unique, limitée dans le temps,de régularisation (moyennant toutefois le paiement d’une pénalité) de l’infraction fiscale consistant en la non-déclaration par des personnes physiques « des sommes, capitaux et valeurs mobilières » (soit, des actions, bons de caisse, obligations, titres au porteur, etc.). L’hypothèse par excellence visée par ce dispositif légal concernait des revenus mobiliers – par exemple, des dividendes et intérêts – perçus à l’étranger et non déclarés en Belgique.

Il y sera toutefois recouru encore à diverses reprises, soit respectivement en 2005, 2013 et 2016.

En 2005, une DLUbis (suite à la Loi-programme du 27 décembre 2005), également limitée dans le temps, était mise en œuvre pour permettre tant aux personnes physiques que morales de régulariser leurs ‘revenus professionnels régularisés’, ‘autres revenus régularisés’ et, en matière de TVA, les ‘opérations TVA régularisées’. Là encore, une immunité fiscale et pénale était en principe octroyée aux citoyens-contribuables à concurrence des revenus régularisés, sous réserve toutefois des revenus provenant de la réalisation d’opérations de blanchiment (car ce sont des infractions dites ‘continues’).

Respectivement en 2013 (DLUter) et 2016 (DLUquater), des nouveaux rounds de régularisation fiscale furent mis en œuvre. S’agissant du dernier en date, il fut justifié en particulier par le contexte d’intensification des échanges automatiques d’informations entre Etats membres et concrétisé par la Loi du 20 juillet 2016, « instaurant un système permanent de régularisation fiscale et sociale». A l’inverse de ses prédécesseurs, le mécanisme de la DLUquater est donc permanent; il permet également la régularisation des cotisations sociales des travailleurs indépendants et accorde une immunité fiscale, sociale et pénale sur les revenus et avoirs déclarés.

La DLU comme outil de chantage permanent

Au vu de ce bref rappel historique, il apparaît donc que le recours aux DLUs s’apparente manifestement aux yeux de la classe politique, et en dépit des différentes immunités chaque fois accordées aux citoyens-contribuables (en fonction des cas, fiscale/pénale/sociale), comme une simple technique d’ajustement budgétaire (à l’instar des accises sur les alcools ou le tabac), susceptible en outre d’exercer, au mépris de la sécurité juridique la plus élémentaire, un chantage permanent sur les citoyens-contribuables.

Si l’on peut d’ores et déjà douter du bien-fondé d’une telle mesure sur le plan juridique, elle constituerait, si elle était adoptée, le signe évident du mépris de la parole donnée et la preuve éclatante qu’à l’instar du junkie tous les moyens sont bons aux yeux des pouvoirs publics pour se procurer leur dose d’argent frais…

Gaëtan Zeyen