Hier, Macron, dans son allocution va-t-en guerre n’était pas loin d’envoyer sa jeunesse au casse-pipe. Avant même de nous demander si c’est raisonnable, munis d’une calculette, nous allons examiner si c’est envisageable.
J’y vais ou j’y vais pas?
Le dieu de la Guerre a, semble-t-il, abandonné Zelinsky. Dans les couloirs discrets des chancelleries les mots « cessez-le-feu » remplacent mezzo voce le mantra « Slava Ukraini » si cher à BHL au grand dam du comique troupier de Kiev et de ses aficionados.
Alors que Trump exclut toute intervention des Etats-Unis ou de l’OTAN en Ukraine, le Premier Ministre travailliste du Royaume-Uni, Starmer, annonce lui présenter un plan visant à déployer 30.000 soldats européens dont la mission serait d’observer un éventuel cessez-le-feu sans pour autant en donner les détails. Une mission d’observation donc.
De son côté, Macron a remis sur le tapis son projet controversé de « boots on the ground » tout en évacuant une mission de combat. Il a aussi provoqué une réunion en comité plus que restreint pour discuter ce point. Tellement restreint qu’il a relégué le Portugais António Costa, président du Conseil européen, sur le banc des réserves. Rien n’est sorti de cet entre-soi. Trump et Poutine sourient.
En effet, la Pologne, ennemi historique de l’Ukraine s’oppose au déploiement de troupes européennes en Ukraine. Il faut dire que la liste des horreurs commises par les Ukrainiens est documenté. On retiendra le massacres des Polonais en Volhynieet les meurtres de masse de civils polonais commis par les membres de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) pendant la Seconde Guerre mondiale, entre 1942 et 1944, sous la bannière de Bandera vénéré encore aujourd’hui dans le pays. Idem pour l’Allemagne si le parlement allemand donne son feu vert. La Hongrie et la Slovaquie ne veulent pas d’un tel déploiement, les Pays-Bas ont besoin de l’accord du parlement et l’Italie fait face à des problèmes constitutionnels. Rassurons-nous : la Suisse a promis de fournir un contingent de … 200 soldats ! C’est dire que les poids lourds européens ne sont pas trop emballés par les rêves napoléoniens d’un Macron jupitérien en fin de règne.
La visite de Macron à la Maison Blanche n’a rien changé. On navigue dans le brouillard et Macron a tort d’oublier la réaction russe : « Le déploiement de troupes de forces armées des pays de l’Otan, mais sous un autre drapeau, sous le drapeau de l’Union européenne ou sous des drapeaux nationaux, ne change rien. C’est bien sûr inacceptable« . La messe est dite !
Pour la beauté de la réflexion, voyons si la déclaration de Macron tient la route.
Combien de troupes ?
Starmer a évoqué le nombre de 30.000 casque bleus. Zelinsky en demande 200.000 (deux fois le volume de l’Armée de Terre française, huit fois celui des Forces Armées belges). Plus un solide appui aérien. Les médias tout aussi mal informés prédisent un contingent de 30.000 à 200.000 soldats …
Experts et responsables militaires s’accordent pour dire que les Européens devraient déployer une force « robuste » et importante en nombre et en matériels plutôt qu’une force de peacekeeping du style Casques bleus de l’ONU. Exit la déclaration de Starmer. Faut-il rappeler que les missions de maintien de la paix onusiennes ont pour la plupart été des échecs ? La UNFICYP incapable de redonner l’entière souverainement chypriote sur l’île occupée par les Turcs, la FINUL du Liban à la merci du Hezbollah, le Rwanda et son génocide d’un million de morts que le Général canadien Roméo Antonius Dallaire n’a pu empêcher , l’UNPROFOR et le massacre de 8.000 bosniaques sous les yeux attendris des Néerlandais…
Vu le nombre de belligérants en présence, la longueur du front, le conflit de type « haute intensité » et la présence de mercenaires et d’unités non régulières du côté ukrainien, le format « maintien de la paix » est inadapté à la situation. Celui de « force d’interposition » serait plus opportun.
C’est l’avis du Lieutenant-Général US Ben Hodges – ex-commandant de l’US Army Europe qui déclare : « Si nous envoyons une force là-bas, ils doivent avoir une puissance aérienne, de grandes forces terrestres, des drones, des contre-drones, une défense aérienne et anti-missiles. S’ils entrent là-dedans avec un tas de casques bleus et de fusils, ils seront écrasé.»
C’est également la position du Général français Dominique Trinquand, habitué des plateaux TV dont celui du très pro-ukrainien LCI pour qui « les casques bleus de l’ONU sont mieux adaptés pour un déploiement dans des zones beaucoup plus stables ».
Terminons par l’avis de Pete Hegseth secrétaire d’Etat à la défense sous Trump II qui veut une « robuste » supervision internationale de la ligne de contact sur 1.000 kilomètres (ndlr : auquel il faudrait y ajouter 500 km : frontière Russie-Biélorussie et Ukraine) et par celui de Andrii Sybika, Ministre des Affaire étrangères ukrainien : « Une opération sans implication des Américains ne fonctionnerait pas » .
Que représentent les Forces armées occidentales ?
La France de Macron, c’est 220.000 hommes dont 112.000 pour l’Armée de Terre, répartis en deux divisions et sept brigades.
La British Army (Armée de Terre britannique) compte deux brigades blindées et une seule division opérationnelle sur deux, soit dix régiments ou vingt bataillons totalisant 73.190 hommes.
Pas de quoi faire trembler Poutine. L’Armée de Terre russe, c’est 325.000 troupes régulières sans compter les 300.000 volontaires recrutés dans le cadre de l’opération militaire spéciale. Juste avant celle-ci, la Russie comptait dix-sept divisions, cent trente-quatre brigades, quatorze brigades d’artillerie, treize de missiles sol-sol et quinze de missiles sol-air. Sans l’appui des Etats-Unis, l’Europe se trouvera bien dépourvue lorsqu’il faudra déployer un contingent crédible. On entend déjà dans les coulisses qu’il faudra dégarnir le flanc Est de l’OTAN et retirer des forces de Pologne et de Roumanie. Une ineptie …
Quelles seraient les missions d’une force d’interposition ?
Les tâches dévolues à une force d’interposition sont :
- « Exercer le contrôle et la surveillance d’une aire ou les frontières et lignes de démarcation entre Russes et Ukrainiens
- Prévenir les infiltrations et la confrontation entre partis opposés
- Négociations avec les parties
- Contrôe des volumes des forces permis et des armements autorisés
- Déceler de nouvelles fortifications, mouvements de troupes
- Intervenir manu militari en cas de rupture de cessez-le-feu : show the force, counter insugency, counter terrorism, interposition. »
Il s’agit donc de couvrir toute la ligne de front par un dispositif dissuasif important avec forces de réserve. Cela implique aussi la mise en place d’un no-man’s-land suffisamment large avec une zone d’exclusion aérienne. Le contingent devra bénéficier d’un appui aérien conséquent, de close air support, d’une défense anti-missiles couvrant toute la zone de déploiement (1.500 km!). Toutes les forces d’une « armée européenne » n’y suffiront pas .
Rapide calcul : une batterie Patriot couvre de 40 à 160 km pour un coût d’un milliard $. Protéger 1.500 km nécessiterait entre 9 et 38 batteries, soit un coût de départ variant de 9 milliards à 38 milliards $. Chaque missile Patriot coûte 3,300,000$.
A côté du volume du contingent et de ses missions, il faut déterminer les Rules of Engagement (ROE). A ce stade, les intentions du Maréchal Macron et de ses proches alliés ne sont pas connues. Dommage …
Le Chef du Comité militaire de l’Union Européenne, le Général autrichien Robert Briegen nous dit : « (La force d’Intervention européenne) aurait également le droit d’appliquer le cessez-le-feu en utilisant les armes et un appui aérien ». Tout en faisant un parallèle avec le conflit entre Nord et Sud Coréens, pour John Bolton, ex-conseiller à la sécurité nationale US sous Trump I, le modèle de maintien de la la paix « observateurs » n’est certainement pas dans l’intérêt des Ukrainiens, les lignes de front étant gelées avec une partition permanente de l’Ukraine dont 20 % sont occupés par les Russes.
Combien de bataillons ?
Le manuel à l’usage des bataillons d’infanterie de l’ONU présente trois types de bataillons:
- le bataillon d’infanterie légère avec trois compagnies sur roue et 622 hommes
- le bataillon d’infanterie motorisé avec quatre compagnies motorisées et 872 hommes
- le bataillon d’infanterie mécanisée avec trois compagnies d’infanterie mécanisée, une compagnie d’infanterie sur chenilles et 872 hommes.
D’autre part, le manuel d’emploi du Groupe tactique d’infanterie français dispose que le front d’une brigade d’infanterie en défensive avec trois ou quatre bataillons en défensive est de six à dix kilomètres.
Reprenons la calculatrice : Sur 1.500 km, il faudrait aligner en premier échelon de 100 à 150 brigades soit de 600.000 à 900.000 hommes. En tenant compte des rotations (1/3 sur le front, 1/3 à l’entraînement et 1/3 en maintenance et au repos), il faut un nombre de troupes pharaonique : de 1,8 millions à 2,7 millions de soldats plus la logistique (ndlr : on compte sept logisticiens en appui pour un seul combattant!), une force navale pour la Mer d’Azov et la Mer Noire, une force aérienne capable d’intervenir en Close Air Support sur 1.500 km. Cela dépasse très largement des effectifs des armées de l’UE et du Royaume Unis réunies. Pour rendre tout cela fonctionnel, il faudra des stocks de munitions en proportion (que l’UE n’a plus, pour avoir tout donné à Zelinsky).
Le coût en personnel et en indemnités serait aussi astronomique : 120 millions € par mois pour une force de 30.000 hommes, 2,4 milliards € par mois au minimum pour une force de 600.000 hommes. Pour rappel, la guerre du Golfe avait coûté au contribuable 61 milliards $ pour lever, projeter, entretenir une force de 540.000 hommes.
Rappelons que les USA ne participeront pas à cette folie.
Utopie ?
Thomas More inventa le genre littéraire de l’utopie. Le philosophe français Michel Foucault définit l’utopie comme un « emplacement sans lieu réel » qui entretient un rapport analogique avec la réalité et qui tend soit vers l’envers de la société, soit vers le perfectionnement de cette dernière. Une utopie est un projet dont la réalisation est impossible. Macron cultive ce genre avec bonheur.
Le lecteur aurait pu attendre de ce penseur émérite plus de détails sur sa volonté de projeter des soldats européens en Ukraine. Ce même lecteur peut à juste titre s’étonner que ce président consulte ses généraux et ceux de l’Europe avant de lancer sur la table un projet dont vient de voir qu’il était irréalisable. Sauf à envoyer une mini mission d’observation de quelques milliers d’hommes, mini mission qui ne fera pas peur à Poutine, ni à Zelensky. Ce dernier pourrait en effet se mettre en tête de reconquérir par la force et malgré un cessez-le-feu les territoire ukrainiens perdus.
A ce stade, il ne sert à rien d’épiloguer ni de tenter de prédire l’avenir. Poutine ne veut pas d’Européens en Ukraine et Trump ne veut pas s’en mêler.
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Cela ne changera rien à la dure réalité du moment qui commence par l’absence de défense européenne.
P.H.