The Platform : un festin visuel et cérébral

1019
Image extraite de La Plateforme
La Plateforme, de Galder Gaztelu-Urrutia

Notre critique de The Platform

Je n’avais pas envie de regarder The Platform. On en disait que du bien, or je me méfie instinctivement de ce genre d’unanimisme. En général, c’est mauvais signe quand tous les critiques autorisés tombent d’accord – eux qui sont si prompts à encenser des films, même mauvais, pourvu qu’ils cochent toutes les cases du politiquement correct. Je me méfiais d’autant plus de ce film que tous louaient sa « satyre sociale féroce » (les satyres sociales sont toujours, forcément « féroces », ne me demandez pas pourquoi).

« Satyre sociale », dans mon dictionnaire des lieux communs, veut dire « film chiant et moralisateur de gauche » (notez qu’un film chiant et moralisateur « de droite » ne vaudrait pas mieux, mais je n’en ai pas encore vu). Pourtant, dans un grand moment de désœuvrement comme n’en connaissent que les millenials qui font leur « crise du quart de vie » (ne rigolez pas, ça a une entrée sur Wikipédia donc c’est sérieux), je me suis dit « Pourquoi ne pas me faire du mal ? » et j’ai regardé The Platform. Et j’ai adoré.

Plus qu’une critique attendue de la société de consommation

The Platform suit la descente aux enfers quasi littérale d’un étudiant qui s’enferme volontairement dans « la fosse » : une sorte de prison verticale où les détenus sont approvisionnés en nourriture grâce à une plateforme en lévitation qui descend à travers chaque cellule. Évidemment, les prisonniers des cellules du haut en profitent pour se goinfrer comme de sagouins et ne rien laisser à ceux des cellules du bas, alors que la plateforme contient théoriquement assez de nourriture pour tous. Comme tout bon proto-communiste qui se respecte, notre étudiant va forcer tout ce beau monde à être solidaire, à coup de barre de fer dans la mâchoire si nécessaire.

Alors, vous la voyez venir, la critique à la tractopelle de la société de consommation ? En fait, le film s’est avéré plus subtil que ce que le synopsis et les critiques me laissaient craindre. Évidemment, The Platform dénonce l’égoïsme humain, mais sa fin mystérieuse et allégorique libère de l’espace pour l’interprétation personnelle. Au lieu de servir du commentaire social à la grosse louche, le film met le protagoniste dans des situations moralement difficiles, forçant le spectateur à se demander ce qu’il ferait à sa place, tout en prenant soin de ne pas imposer de réponse univoque.

Miam, bon appétit ! Source : La Plateforme, de Galder Gaztelu-Urrutia

Le décor épuré de la fosse et la photographie léchée créent une ambiance à la fois irréelle et crue, parfaite pour un film qui alternent les gros plans dégoûtants sur la nourriture dévastée, les explosions de violence pure et les crises hallucinatoires. The Platform est une œuvre sombre, traversée de fulgurances poétiques, mais où pointe ultimement une lueur d’espoir. À regarder sans plus attendre.

Nicola Tournay