Taper sur la Hongrie ne fait pas de vous un démocrate

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Hongrie Budapest
Photo de Szabolcs Toth provenant de Pexels- Hongrie

On ne peut pas hurler contre la « dictature » en Hongrie tout en fermant les yeux sur les abus de pouvoir à côté de chez soi.

La chose est entendue : Viktor Orban a fait tomber le masque, et son visage est celui d’un aspirant dictateur, prêt à sauter sur la première crise sanitaire venue pour étendre ses prérogatives. Là-dessus, la presse belge francophone est évidemment unanime : du Soir à la Libre en passant par L’Echo tous se dressent comme un seul homme contre la « dictature » montante. Mais que reproche-t-on vraiment au Premier-Ministre hongrois ?

En date du 30 mars 2020, le Parlement hongrois a autorisé le gouvernement à proroger pour une durée indéterminée « l’état de danger » qui lui confère des pouvoirs exceptionnels. Pour faire face à la crise du coronavirus, les dirigeants hongrois peuvent donc « suspendre l’utilisation de certaines lois par décret, s’écarter des dispositions statutaires et introduire d’autres mesures extraordinaires », le tout par simples ordonnances gouvernementales. L’opposition juge ces pouvoirs disproportionnés et s’inquiètent de leur absence de limite dans le temps. L’opposition dénonce aussi une disposition anti « fake news » qu’elle juge contraire à la liberté d’expression.

Ceci n’est pas une dictature

Qu’en penser ? Que l’opposition hongroise est évidemment dans son bon droit quand elle s’inquiète de voir Viktor Orban investi pour une période indéterminée de pouvoirs quasi illimités. C’est le droit, et le devoir, des partis d’opposition, que de faire entendre leur petite voix discordante, même en temps de crise et d’union nationale. L’opposition est dans son rôle, quand elle surveille le gouvernement, et quand elle garde jalousement les droits et les libertés des citoyens face au pouvoir. Une démocratie sans opposition vigoureuse n’est pas une démocratie, et quand on voit l’unanimité des partis belges francophones sur toute une série de question (le Pacte de Marrakech, l’hystérie climatique, l’intégration européenne, le lockdown etc.), on devrait plutôt s’inquiéter de la santé démocratique de notre propre pays.

Rappelons tout de même que le Parlement hongrois peut toujours révoquer « l’état de danger » qui est supposé ne durer qu’aussi longtemps que l’épidémie durera. Drôle de dictature, où les pouvoirs du dictateur peuvent être révoqués à tout moment par le Parlement… Rappelons également qu’aux dernières élections nationales, le parti d’Orban a récolté 49 % des suffrages, contre seulement 19 % pour le premier parti d’opposition. Quand on est à ce point minoritaire, on se sent dépossédé de ses droits et on a l’impression de vivre en dictature. Les Belges francophones « de droite » connaissent très bien ce sentiment, et c’est normal. Ce qui l’est moins, c’est que des commentateurs et des observateurs étrangers s’empressent de le confirmer et de s’en servir pour déstabiliser le pays.

Pourtant, c’est ce que fait le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, quand il dit « suivre avec inquiétude les évolutions » politiques en Hongrie. Le Conseil de l’Europe ne fait pas autrement, quand il avertit qu’un « état d’urgence indéfini et incontrôlé ne peut garantir le respect des principes fondamentaux de la démocratie ». La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en rajoute une couche quand elle feint de rappeler que les « mesures d’urgence » ne doivent pas être prises « au détriment de nos principes fondamentaux ». Avec le tact diplomatique qu’on lui connaît, Guy Verhofstadt quant à lui crie au « retour de l’URSS » et exhorte la Commission à intervenir dans les affaires intérieures de la Hongrie. Face à la « dictature » de Viktor Orban, les élites européistes et mondialistes font profession de foi démocratique, mais quel crédit faut-il leur accorder ?

Deux poids, deux mesures : La France vs La Hongrie

Où étaient tous ces gens – ou les institutions qu’ils représentent – quand Emmanuel Macron faisait adopter la loi antiterroriste du 30 octobre 2017, laquelle normalise l’état d’urgence reconduit à de multiples reprises par son prédécesseur, François Hollande, depuis les attentats de 2015 ? Pour être franc, le commissaire européen aux droits de l’Homme de l’époque, Nils Muiznieks, avait exprimé de timides inquiétudes. Mais rien de comparable aux accusations de dérives dictatoriales, dont Viktor Orban fait régulièrement l’objet depuis dix ans. Depuis son adoption, la loi antiterroriste française a pourtant déjà été utilisée en dehors de son cadre d’application originel, pour limiter sans contrôle judiciaire le droit de manifester grâce à l’instauration de « périmètres de sécurité ». De plus, la promulgation d’une « loi anticasseurs » donne aux préfets de police le pouvoir d’interdire pendant plusieurs mois à des citoyens de manifester. Les manifestations de gilets jaunes ont d’ailleurs plongé l’État français dans une spirale inouïe de violences policières et d’arrestations arbitraires. On n’ose pas imaginer les cris d’orfraie qu’auraient poussé les acteurs internationaux si des images de manifestants éborgnés nous étaient parvenues de Hongrie. Les mêmes qui s’indignent du dispositif « anti fake-news » de Viktor Orban, pourtant circonscrit à la pandémie dans son application comme dans sa durée, n’ont pas crié à la dictature quand Emmanuel Macron a fait passer sa propre « loi anti-fake news », qui permet au gouvernement de censurer la presse en période électorale.

Certains justifieront ce deux-poids-deux-mesures par le fait que la Hongrie est une démocratie « jeune », susceptible à tout moment de basculer dans un passé autoritaire pas si lointain, et qu’à l’inverse, la République française est une démocratie libérale éprouvée par le temps. Mais le régime hexagonal est à peine plus démocratique et libéral que celui de la Hongrie sous Orban. C’est une autocratie élective, fondée par un chef militaire nationaliste, où les fonctions de chef d’État et de chef de gouvernement se confondent, et où le chef d’État peut dissoudre l’Assemblée, alors que l’inverse ne s’est jamais produit. Cette « monarchie républicaine » (dixit Maurice Duverger), qui concentre toute la représentation nationale et presque tous les pouvoirs en un seul homme, De Gaulle l’avait explicitement conçue pour éviter de répéter les blocages parlementaires de la IIIe République.

Défendre la démocratie libérale pour de vrai

Non, décidément, rien ne justifie ce deux-poids-deux-mesures. La différence de traitement entre la France et la Hongrie n’a rien à voir avec une défense désintéressée des principes libéraux et démocratiques. La vraie différence entre la France de Macron et la Hongrie d’Orban, c’est que la première est progressiste, européiste, mondialiste, et pro-développement durable, tandis que la seconde incarne l’exact opposé : la défense farouche des frontières, de l’identité culturelle et de l’industrie nationale. Les abus de pouvoir de Macron ne doivent pas excuser les tentations autoritaires, réelles ou fantasmées, de Viktor Orban, et vice versa. Il ne faudrait pas non plus stigmatiser la France « illibérale » mais progressiste, comme on stigmatise la Hongrie « illibérale » et conservatrice depuis dix ans. Comment ne pas rire à l’idée que des organisations supra-nationales et non-démocratiques pourraient remettre des nations dans le droit chemin de la démocratie libérale ? Stigmatisons plutôt l’impérialisme des eurocrates et de leurs cheerleaders, qui feignent de se préoccuper de l’État de droit pour mieux imposer leurs oukases progressistes aux peuples réticents d’Europe de l’Est.

Nicola Tournay