Pardon : la RTBF ne censure jamais, elle « édite ».
Dimanche dernier, la RTBF nous avait fait l’agréable surprise d’un article nuancé sur les soixante ans de l’indépendance du Congo. Le titre était un brin provocateur : 60 ans après l’indépendance du Congo : « Si nous sommes Congolais, aujourd’hui, c’est grâce à Léopold II.«
Nous étions nombreux à nous demander comment le groupe audiovisuel public, qui dévie rarement du pré-pensé politiquement correct, avait pu laisser passer une telle chose. Et de fait, lundi la rédaction a supprimé l’article de son site web et du référencement de Google pour ensuite le republier en fin de journée avec ce nouveau titre : 60 ans du Congo : « Il y a à la fois de la souffrance, de l’indifférence et aussi une envie d’aller au-delà de toute cette histoire !«
Plus aucune mention de Léopold II
D’un article à l’autre, c’est le contenu et pas seulement la titraille qui change. Dans la version censurée éditée, il n’est plus fait aucune mention de Léopold II, alors que la version originale contenait un éloge prudent du Roi Bâtisseur par un pionnier de l’indépendance, Léon Engulu, et d’où était tiré le titre. L’ancien ministre crédite le colonisateur d’avoir rassemblé des peuplades éparses, divisées par des guerres tribales incessantes, pour en avoir fait une nation unifiée et pacifiée : le Congo. Léon Engulu ajoute que si Léopold II a commis des « fautes » en colonisant le Congo, la même chose peut être dite des indépendantistes et de la décolonisation : « Nous avons tué des innocents. » L’ancien ministre de Mobutu enfonce le couteau dans la plaie, en faisant remarquer que depuis leur indépendance les Congolais « reculent » : « A l’époque de la colonie, l’école était gratuite, les soins médicaux gratuits. Nous n’avons plus cela aujourd’hui. Et il y avait peu de chômage, très peu de chômeurs. » Vous pouvez retrouver l’article original en son entier en cliquant ici.
Pourquoi, dans un article qui entend faire le bilan de soixante ans d’indépendance du Congo, avoir censuré retiré ce témoignage d’un acteur de premier plan de la décolonisation ? La RTBF justifie comme suit sa censure son choix éditorial : « Cet article a fait l’objet d’une mise à jour majeure. L’objet même de cet article était de donner la parole aux jeunes générations congolaise (sic) sur leur vision de leur pays aujourd’hui et pour le futur et non pas de revenir sur le passé. »
Les Congolais privés de leur responsabilité
Il est vrai que dans la version censurée éditée, les témoignages des jeunes congolais se voient accordés une plus grande place. En fait, le nouvel article est tellement axé « jeune » qu’il n’est plus fait mention de l’âge de Florimond Muteba, le Président du Conseil d’administration de l’Observatoire de la dette publique, qui a 70 ans dans l’article original. Le pauvre homme n’est pas seulement amputé de son âge mais aussi de son point de vue sur la décolonisation, alors qu’il a vécu l’avant et l’après. Du témoignage original, la RTBF n’a retenu que le passage où il attribue les déboires actuels du Congo à « cette indépendance qui n’était pas assez bien préparé (sic) ». Pas assez bien préparé par qui ? Spontanément, on pourrait attribuer la responsabilité de cette impréparation aux colons belges. Pourtant, dans l’article non-censuré non-édité, Florimond Muteba insiste lourdement sur la responsabilité des Congolais : « [Depuis l’indépendance], on a eu le temps de se ressaisir nous-mêmes. Mais on ne l’a pas fait. Ce n’est pas la faute de l’occident si 60 années après, nous sommes toujours au même niveau. C’est un faux discours que de dire ‘passez il n’y a rien à voir’, ‘laissez-nous faire ce que nous voulons de notre peuple’, ‘laissez-nous piller notre pays comme nous voulons’ » Cette nuance est complètement perdue dans la nouvelle version.
Le dernier point sur le pillage du Congo est particulièrement intéressant, car il en est fait à nouveau mention dans la suite de l’article. Eunice Etaka, militante au sein de la LUCHA, pour “lutte pour le changement”, et qui se voit créditée par la RTBF « [d’un] vrai regard [sur l’indépendance] », déplore la continuation, sous « une autre forme », de la colonisation. Cet extrait, anodin dans l’article original, est ici complété par un paragraphe explicatif où la RTBF insiste sur le rôle négatif des multinationales minières pour « [les] caisses de l’Etat (sic) ainsi que [pour] celles et ceux qui travaillent dans les mines ».
La parole des Congolais étouffée par l’idéologie de la RTBF
Lisez les deux textes et comparez vous-mêmes : tous les témoignages qui, dans l’original, laissaient entendre que le passé colonial comportait des bienfaits, et que les Congolais étaient responsables de leur situation actuelle, ont été retirés ou amputés. Dans le cas des extraits de Florimond Muteba (raccourci) et d’Eunice Etaka (rallongé et commenté), la RTBF impute insensiblement la responsabilité des déboires congolais aux colons belges partis précipitamment et à l’exploitation sauvage des richesses minières par les multinationales. Pour rétablir son idéologie – qui veut que l’homme blanc soit toujours, de tout temps et en tous lieux, l’oppresseur de l’homme noir – la RTBF n’hésite pas à supprimer puis à charcuter et diluer un de ses propres articles. Au passage, elle s’octroie le droit d’arbitrer entre les voix congolaises qui méritent d’être entendues et celles qui ne le méritent pas.
Pourquoi la RTBF jouit-elle de ce privilège ? Un paragraphe, ajouté dans la « mise à jour » de l’article, nous donne un indice : « Les clefs de compréhension semblent brouillées par le grand trauma culturel, politique et social que fut 80 ans de colonisation. » Nous y sommes : les pauvres Congolais, parce qu’ils sont « traumatisés », ne possèdent pas les bonnes « clefs de compréhension ». Leur vécu, leur expérience, l’expérience de leurs parents et de leurs grands-parents, tout ça ne pèse rien face au diplôme et à la carte de presse du journaliste belge qui sait, lui, ce que les Congolais doivent penser du Congo, de son passé, de son présent et de son futur.
Les Congolais se trouvent donc rangés, au côté des musulmans, des femmes, des migrants, des homosexuels, des personnes transgenre et autres, dans le tiroir des minorités utiles, que la RTBF ouvre de temps à autre, pour en sortir un témoignage qu’elle pourra tailler sur mesure pour avancer son propre agenda sociétal. Tant pis, si au passage elle prive des individus et des groupes de leurs nuances, de leur agencement moral et de leur capacité d’autocritique. La RTBF ne s’encombre pas de scrupules dans la poursuite de son objectif politique ultime qui est de démoraliser l’homme blanc hétérosexuel, rendu coupable de tous les maux de la Terre. Coûte que coûte, l’information publique doit s’écraser devant l’idéologie, et grâce aux impôts que nous payons et qui la financent, la RTBF est sûre de n’en jamais rien souffrir.
Nicola Tournay