Deux éclairages différents sur un même problème: le cas de la coupe du monde de football au Qatar. A boycotter ou pas?
Boycotter n’est pas une option
une opinion de Sophie Flamand
Entre retour de la grippe et conflit frontalier, l’automne 2022 se révèle agité. Mais comme nous sommes impuissants à agir, tant contre les rhumes que contre les guerres, il nous faut un combat. Un vrai, un noble, un chevaleresque ! Et on a trouvé LA cause : boycotter la coupe du monde de football ! Génial, non ? Ca a un côté sacrificiel qui donne bonne conscience même à ceux qui ignorent tout du foot ! « Non, ne me tentez pas, je resterai de marbre et, quoi qu’il m’en coûte, je ne regarderai pas la retransmission des matchs ! » Quel panache !
Ca va du bistrotier qui, le regard dur, proclame qu’il ne diffusera pas la coupe, aux maires et bourgmestres qui annoncent face caméra qu’ils n’installeront pas d’écrans géants sur la place du village. Sans oublier, surtout, les divers peoples, habitués des plateaux et peu désireux de les quitter qui, la larme à l’œil, avec la gravité que requièrent les plus grands renoncements, supplient la populace de faire comme eux et de ne pas céder aux appels footbalistiques. Face à un tel déploiement de courage et d’abnégation, ça doit trembler à Doha. Les mollahs en perdent le sommeil !
Mais au fait, pourquoi boycotter cette coupe du monde ? Bien sûr, on n’évitera pas la sempiternelle lubie dans le vent du réchauffement anthropique. C’est qu’un stade de foot, dans un pays dont la moyenne des températures est de 40° à l’ombre, ça doit être climatisé. C’est même un peu pour ce genre de situation qu’on a inventé la clim. Mais, bêleront certains, la clim ça use de l’énergie, donc ça pollue, donc c’est pas chouette pour les ours polaires. Il y a fort à parier que ce boycott rendra le sourire auxdits ours polaires, ce qui est une bonne chose.
Plus sérieusement, les arguments avancés pour soutenir ce boycott s’apparentent plus aux Droits de l’Homme. Oui, ces stades ont été construits dans des conditions inhumaines, proche de l’esclavagisme. Oui, le Qatar pratique l’apartheid sexuel et ne considère pas les femmes comme des êtres humains. Oui, les Chrétiens et les Juifs ont dû très majoritairement fuir cet enfer. Oui, le racisme y est autorisé sans limite. Oui, les homosexuels y sont persécutés, oui, les crimes d’honneur y sont légion, oui, on y pratique la polygamie, oui, le bien-être animal n’y est qu’une cruelle illusion, oui la pauvreté y est endémique et non combattue. Oui, en un mot, le Qatar est un pays coranique. Et ? En quoi cela justifie-t-il ce bal des faux-culs ? En quoi ce boycott changera-t-il la donne ? Pourquoi adopter ces postures de vierge effarouchée ? Cela avait été annoncé, dit, redit et proclamé dès après les accords de Yalta. On savait parfaitement que la fin des empires coloniaux signerait le retour de la barbarie, de l’obscurantisme et, dans bien des pays, de la sharia. Il ne fallait d’ailleurs pas être grand clerc pour s’en douter. Les Droits de l’Homme sont une création occidentale et n’allaient pas survivre à la décolonisation, c’était une évidence. L’Afrique et le Proche-Orient hébergent de régimes politiques immondes et en opposition frontale avec nos valeurs. Nous négocions avec eux, nous sommes leur client, nous déroulons même le tapis rouge devant leurs dirigeants. Et nous le savons parfaitement. Cette Coupe du Monde est au contraire l’occasion de mettre en relief nos contradictions. Ce n’est vraiment pas le moment de fermer les yeux.
Des sportifs – oui, je sais, tous des sales milliardaires – s’entrainent depuis des mois. Pour certains d’entre eux, c’est même le clou d’une carrière. Mais nos Jean Moulinette préfèrent ne pas voir et condamner la tête haute. Curieusement, ce sont souvent les mêmes qui regardent ailleurs lorsque leur quartier s’islamise. Les mêmes qui prônent, en tremblant un peu, quand même, les joies du vivre ensemble et s’écrient à chaque attentat « Vous n’aurez pas ma haine ! ». Ben oui, la haine, ils la gardent pour le foot, on peut pas être partout ! Et puis, reconnaissons qu’il est moins périlleux de combattre l’islam quand il est à 6 000 km que quand il s’épanouit au lycée d’à côté !
Moi, j’applaudirai nos Diables. Et je continuerai à faire un signe de croix à chaque fois que je croise une femme voilée
Le boycott des siens
Une opinion de Tatiana Hachimi
En Occident, de nombreuses voix s’élèvent en faveur du boycott de l’édition qatarie de la coupe du monde de football. Les critiques visent dans le désordre et de façon non exhaustive les mécanismes d’attribution de la coupe, certaines conditions de travail proches de l’esclavage pour les travailleurs étrangers, une conception très restrictive des droits de l’Homme. A cela, certains ajoutent un bilan carbone de nature à faire pleurer dans les chaumières mal chauffées de cette année 2022 marquée du sceau de la sobriété.
Cette levée de boucliers pose en réalité plusieurs questions. Le boycott constitue-t-il un moyen d’action efficace ? Quelle est sa portée ? Est-il adapté au cas du Qatar ?
Le boycott, autrement dit la mise à l’index, dans le cadre d’une compétition sportive consiste à parasiter, voire retourner, l’image positive attendue en termes de soft power. Pour un pays comme le Qatar qui après des investissements colossaux avait réussi à s’imposer grâce à son soft power sportif, le revers réputationnel pourrait être douloureux.
Toutefois, des individus et des associations qui militent en faveur du boycott, principalement des activistes dans les sphères des droits de l’Homme et du climat, ne sont pas en mesure de mobiliser les dispositifs les plus pertinents pour atteindre la population séduite par le Qatar. En définitive, ces actions auront surtout un impact sur des segments de la société indifférents ou déjà hostiles au Qatar. C’est là d’ailleurs que cette mise à l’index devient intéressante car elle offre à certains de nos concitoyens un moment cathartique. Ils vont pouvoir dénoncer le statut inférieur de femmes et des esclaves, consacré par la charia. Voilà de quoi confronter nombre de boycotteurs à l’incohérence de leurs représentations.
Militer contre l’impact négatif de l’islam sur le sort des femmes et des migrants à l’autre bout de la planète est-il de nature à ouvrir les yeux sur des phénomènes identiques en Europe ? Si oui, le boycott trouve une justification. Ce serait la seule et elle ne serait que partielle. Néanmoins, on voit mal la nébuleuse droits-de l’hommiste et climato-hystérique se dresser comme un seul homme pour dénoncer l’asservissement par le voile de nos concitoyennes de confession musulmane, alors qu’elle est plus prompte à défendre le droit de porter la burqa. Même si le cerveau n’est pas un muscle, le grand-écart peut le mettre en grande difficulté.
Par ailleurs, est-il légitime de pointer- et finalement instrumentaliser – la poutre (dans ce cas-ci, ce serait indécent de parler de paille) du Qatar pour tenter de faire prendre conscience de la poutre qui ébranle à coup de boutoir les droits de l’Homme dans nos démocraties en grande méforme ? On accuse le Qatar de financer le terrorisme. C’est une probabilité. Par contre, nous avons les preuves que nos démocraties occidentales ont financé par millions et sous forme d’allocations diverses de nombreux ressortissants partis en Syrie. Pourquoi ne pas appeler cela une solde ? Aujourd’hui, de nombreuses associations qui visent l’instauration de la loi islamique en Europe bénéficient de financements publics. On associe le Qatar à l’esclavage. Mais que dire de la Belgique ou de la France où la population reverse plus de la moitié ses revenus à des gouvernements kleptocrates ?Avons-nous des leçons à donner au Qatar ?
Le Qatar est le candidat tout désigné pour servir de bouc-émissaire, cela malgré certains efforts pour se sortir de l’arriération. Plutôt que de lui chercher des poux, n’est-il pas plus efficace et plus légitime que chaque peuple préside à sa propre destinée sans s’immiscer et interférer dans celle des autres.
Dans cette perspective, au lieu de dénoncer les effets de la charia au Qatar, c’est en Belgique qu’il convient de boycotter l’entrisme islamiste. Comment ? En boycottant certains partis, pardi !
N’oublions jamais que les mécanismes qui président à l’attribution de l’organisation d’un événement sportif « mondialisé » sont fondamentalement très similaires à ceux qui permettent à certains candidats de se faire élire. En matière de corruption, cessons de nous focaliser sur les potentiels corrupteurs -souvent situés bien loin et hors de portée de nos actions – pour agir sur les corrompus issus de nos rangs.
Il m’incombait de défendre le boycott du Qatar pour respecter le format B-Match qui oppose deux opinions. Mais l’examen rationnel de la question m’impose de me ranger à l’avis de mon contradicteur.