Nos voisins bataves vivent depuis quelques temps avec la menace assez inédite de voir leur premier ministre, Mark Rutte, se faire éliminer par un cartel de la drogue. Faut-il réellement s’en étonner?
Sur la route de la drogue…
Jadis, les marchands arabo-musulmans excellaient dans le commerce de la soie et des épices. Aujourd’hui, reconvertis, ils se distinguent par leur emprise logistique sur le marché des stupéfiants, en particulier sur le segment des dérivés de l’opium et du cannabis, mais pas seulement. De nos jours, les routes de la drogue en Europe sont administrées par diverses communautés implantées dans nos pays. On songe aux Turcs, aux Marocains, aux Albanais… C’est très cliché, mais néanmoins très représentatif de la menace sur le terrain. D’ailleurs, la « Mocro-Mafia » qui a mis à prix la tête du premier ministre néerlandais doit son appellation à l’origine de ses membre issus des communautés marocaines et antillaises.
Il y a donc une culture de ce commerce illégal qui s’enracine dans une histoire, une géographie et des pratiques financières particulièrement adaptées au trafic de drogue. Les récents bouleversements en Afghanistan sont de nature à faire augmenter la production de pavot.
Offre et demande, une répartition ethnique des rôles
Si du côté de l’offre, les rôles sont bien répartis de façon clanique sur une base ethnique, du côté de la demande, les profils sont aussi assez typés. L’end user, le consommateur « classique » de stupéfiants fait partie de cette jeunesse occidentale en fin de parcours qui, inculte et blasée de tout ne parvient plus à trouver en soi les ressources suffisantes pour s’amuser. De plus en plus soumise à l’omniprésence des écrans, elle développe dès le plus jeune âge des prédispositions à l’addiction. Souvent, elle démarre sa trajectoire dans la toxicomanie par des consommations dites « récréatives » de cannabis. Dans une proportion non négligeable de cas, ces consommations évoluent vers d’autres produits. Si le public le plus défavorisé tend à privilégier les opiacés, les consommateurs les plus insérés socialement auront tendance à se tourner vers des stupéfiants qui socialement véhiculent moins une image de déchéance comme la cocaïne ou les drogues de synthèse. Ce ne sont là que des tendances, car le crack, dérivé de la cocaïne, fait des ravages parmi les SDF et les migrants. A Paris, les autorités en sont arrivées à emmurer un quartier pour réduire les nuisances liées aux consommateurs de crack !
L’explosion du marché de la drogue n’est pas qu’un sentiment. C’est un fait économique majeur tellement significatif que depuis 2018, en France, il est intégré au calcul du PIB… « des révisions à la marge de quelques milliards », explique-t-on du côté de l’INSEE.
Face à une telle montée en puissance de l’argent de la drogue dans nos économie, face à toutes les populations qui réussissent très bien économiquement dans ce secteur, il n’y a rien de surprenant à voir des réactions extrêmement agressives quand les autorités tentent de remettre un peu d’ordre dans ce marché à la fois connecté à l’économie réelle (immobilier, football, …) mais aussi au terrorisme (vente d’armes, trafic d’êtres humains, …).
Anvers : une narcopole en lutte contre le milieu
Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur Mark Rutte ne devraient surprendre personne en réalité. Elles font suite à l’exécution cet été en pleine rue d’un journaliste d’investigation, Peter R. de Vries, qui se savait en danger et qui s’apprêtait à faire certaines révélations sur le plateau de RTL près duquel il a été abattu de cinq balles à Amsterdam. Elles surviennent aussi trois ans après les premières menaces dont Bart De Wever, bourgmestre d’Anvers, a fait l’objet après avoir pris des mesures radicales dans sa ville portuaire pour endiguer l’explosion du marché de la drogue. L’importance des ports d’Anvers et de Rotterdam est évidemment déterminante sur le niveau de criminalité aux Pays-Bas et en Belgique.
En septembre 2018, Bart De Wever avait déjà pointé le problème de l’intrication et de la porosité entre la sphère politique anversoise et les milieux de la drogue. Dans les jours qui suivirent, la presse révéla que Rediart Cankja, candidat CD&V qui figurait sur la liste du parti de l’ancien ministre de la justice, Koen Geens, avait été arrêté dans un véhicule contenant trois kilos d’héroïne. L’intéressé sera finalement acquitté grâce aux aveux de sa passagère qui dira l’avoir trompé en embarquant la drogue à son insu. Encore un épisode de la pittoresque vie politique belge qui donne tant de sens au hashtag #OnlyInBelgium ! Ce qu’on appelle avec bienveillance le ‘surréalisme’ à la belge.
En 2020, la grande métropole du Nord a connu des épisodes de fusillades et d’attaques à la grenade sur fond de trafic de drogue. En mars 2021, sans surprise, Bart De Wever a été remis sous protection policière toujours en lien avec des menaces qui émanent du milieu des stupéfiants.
Sur les cendres du régalien
Le niveau de laisser-aller et l’effacement du régalien dans nos social-démocraties confrontent de nombreux centres urbains à une emprise des milieux de la drogue qu’il leur est très difficile de contrôler à l’échelon municipal.
A vrai dire, s’il y a bien une matière qui appelle une réponse transnationale, c’est bien le trafic de drogue. Étonnamment, on ne voit pas l’efficacité qui devrait résulter de la coopération à l’échelon européen. Beaucoup de plans; beaucoup de fonctionnaires; mais toujours beaucoup trop de drogue.
Faut-il attendre qu’un premier ministre soit abattu en pleine rue, tel un journaliste, pour que nos social-démocraties remontent la lutte contre le trafic de stupéfiants dans la liste de leurs priorités ?
A moins que nos élus aient aussi déjà déserté ce front, comme tant d’autres, préférant plutôt s’acheminer vers des dispositifs de normalisation de ce marché illégal à travers des politiques de dépénalisation, voire de légalisation? Nos social-démocraties glisseraient alors vers une forme de narco-démocratie assumée, dont le modèle hollandais n’est finalement pas si éloigné.
La décomposition de l’Etat régalien offre un formidable terrain d’expansion pour les pires régimes. Comptez sur eux pour donner des leçons d’Etat de droit…
Thierry Henrion