« Novax » Djokovic, bouc-émissaire parfait

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« Novax » Djokovic, bouc-émissaire parfait
« Novax » Djokovic, bouc-émissaire parfait

Un texte de Nicolas de Pape

Le gouvernement fédéral australien a astucieusement utilisé Novak Djokovic comme une diversion pour ses propres manquements dans la gestion de la pandémie covid-19. Le « Roi de Melbourne Park » aux 9 victoires à l’Open d’Australie est subitement devenu pire qu’un immigré clandestin : l’ennemi public n°1 de la vaccination. 

Lorsque la super-star serbe aux 20 Grand Chelems quitte l’Europe pour l’Australie, elle ne se doute pas du cauchemar qui l’attend à l’arrivée dans le « Down Under »… Le « Djoker » se photographie tout sourire sur le tarmac, en indiquant qu’après quelques temps bien mérités avec sa famille, il va défendre ses chances d’un dixième titre grâce à une « exemption médicale ».  

Un tweet innocent mais fatal.

Car le voyage aux antipodes est long. Environ 24 heures. Bien assez pour que médias et opinion australiens se retournent contre ce goujat dont le statut de non-vacciné est un secret de polichinelle et qui ose se présenter à la vue d’un peuple ayant subi des lock-downs pendant au moins un an et majoritairement vacciné. 

Le champion serbe, confortablement couché dans son avion, ne se doute de rien. Il est muni d’un passeport en règle délivré en novembre par les autorités australiennes et d’une exemption médicale, à en-tête de la Fédération australienne de tennis, signée par deux équipes médicales indépendantes s’étant basées sur des documents anonymes : aucun favoritisme en vue, apparemment.

Après un atterrissage en douceur, Djokovic se retrouve devant l’employé de la douane et – caméras de surveillance faisant foi -, à la question de savoir s’il est vacciné contre le covid-19, il répond « non » (logique puisqu’il bénéficie précisément d’une exemption médicale pour cette raison). Le cauchemar commence. Voilà Djokovic traité comme un immigré clandestin, interrogé pendant 5 heures (c’est la nuit en Australie) et emmené dans un centre de détention pour sans-papiers, le Park Hotel, désormais de renommée mondiale mais qui ne mérite pas vraiment ses quatre étoiles sur Trip Advisor… 

Cette exemption médicale, si elle lui permet certes de jouer dans le complexe de Melbourne Park, n’a, au final, aucune valeur de sésame pour pénétrer dans le pays, en tout cas sans quarantaine s’agissant d’un non-ressortissant australien. 

Légèreté, naïveté, trop persuadé d’une sorte d’invincibilité propre aux grands de ce monde ? Le champion serbe a totalement sous-estimé l’effet qu’aurait son arrivée dans un pays qui a tant souffert de la pandémie. Comme dans Les Animaux malades de la peste de Jean de Lafontaine où il jouerait le rôle de l’âne qui a mangé la pelouse du Lion de la largeur de sa langue. Comment Djokovic pourrait-il décemment se présenter sur la Rod Laver Arena, non-vacciné, alors que le public doit disposer d’un passe pour assister aux matchs ?

Puis, son Dieu semble lui faire signe. Ses avocats font appel de l’annulation de son visa et il tombe sur un juge assez bonhomme qui s’exclame (la seule déclaration rationnelle dans ce monde de fou) : « Mais qu’aurait-il pu faire de plus ? ». Le juge Kelly trouve un petit vice de forme (le délai accordé par la police de l’immigration n’est pas respecté) et lui rend provisoirement son visa. 

Du côté du gouvernement fédéral de Scott Morrison, politicien conservateur austère et en granit, ce n’est pas la naïveté qui prévaut. Les vieux renards au pouvoir à Canberra qui craignent les élections à venir, ont vite flairé la pépite que constituent les atermoiements (la bêtise ?) de Novak Djokovic. Très critiqué pour sa gestion de la pandémie (l’épidémie d’Omicron explose malgré les mesures drastiques), Scott Morrison utilise le joueur serbe comme diversion : il détourne de lui l’œil de Sauron sur Djokovic, victime expiatoire des propres échecs du pouvoir australien. Comme au Moyen-Âge, il fallait à la population échaudée une tête sur une pique ; Novak Djokovic est le bouc-émissaire parfait pour la lui fournir. 

Dans Le Curé de Tours, Honoré de Balzac décortique avec le soin d’un entomologiste la fabrication d’un bouc-émissaire par un petit cercle de provinciaux rusés et sans pitié, prenant en grippe le naïf abbé Birotteau qui finira par en mourir… 

Dans le cas de Djokovic, il ne s’agit « que » d’un assassinat médiatique. Le pauvre champion serbe se retrouve à l’état de pion au milieu d’un jeu d’échec entre trois Pouvoirs également coupables : Tennis Australia qui a tout fait pour obtenir une exemption médicale à Djokovic pour les retombées commerciales qu’il représente ; le gouvernement de l’Etat de Victoria, qui a adoubé cette initiative et le gouvernement fédéral qui jusqu’à la fronde populaire voyait d’un bon œil la venue de la star et a transmis des informations contradictoires aux organisateurs du tournoi. La meilleure preuve du changement subi des règles est qu’avant l’arrivée de Djokovic, plusieurs personnes bénéficiant du même type d’exemption dont une joueuse tchèque ont passé la douane et cette dernière a même participé à un tournoi !

Pour le pouvoir fédéral, le crime paie. Cynisme consommé, le ministre de l’immigration Alex Hawk use de son pouvoir discrétionnaire digne d’une république bananière pour annuler arbitrairement une deuxième fois le visa de Djokovic en qualifiant le tennismen de « menace pour l’ordre public » et la santé publique. Il risquerait – allons donc ! – « d’encourager les comportements anti-vax » précisant que « rien n’est reproché à Novak Djokovic », évacuant le problème des erreurs factuelles du champion sur son document d’immigration. C’est donc bien en tant que héraut involontaire des non-vaccinés que Djokovic est visé. La Cour fédérale va, à l’unanimité des trois juges, confirmer l’expulsion, trop contente de se débarrasser de cette épine dans le pied du pays.  

Certes, dans toute construction d’un bouc-émissaire, la victime a tissé la corde pour se pendre : irresponsabilité dans le chef du champion de tennis de s’être baladé sans masque en Serbie après son test positif (dont le ministère serbe de la Santé a reprécisé la validité), voyage sans réelle autorisation à Marbella, erreur ou mensonge sur son emploi du temps dans les documents à remplir à la frontière…

Il n’en reste pas moins que Novak Djokovic a été traité comme un chien galeux, alors qu’il disposait de documents de voyage parfaitement valables et d’une invitation en bonne et due forme ; un traitement indigne et injuste pour quelqu’un qui a fait la gloire du plus grand événement sportif géré par l’Australie et qui encore en 2020 a donné de l’argent pour les victimes du méga-feu. 

Bien sûr, Djokovic survivra. Mais l’année 2022, riche encore de trois grand chelems, pourrait être un parcours d’obstacles pour lui s’il s’obstine à demeurer « Novax ». A moins qu’un certificat de rétablissement pour 6 mois comme pratiqué par l’Union européenne ne lui soit accordé ou que la pandémie ne s’éteigne d’ici l’été, on voit difficilement comment ce végan convaincu pourrait rester fidèle à ses convictions naturopathes. Le plus célèbre des non-vaccinés doit désormais se soumettre ou se démettre.