Non, les Belges qui suivent des formations paramilitaires en Europe de l’Est ne sont pas « comme les returnees »

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Homme avec riffle.
Photo de Lukas provenant de Pexels

Ivre de bienpensance, une députée écologiste compare les Belges partis en camps d’entraînement en Europe de l’Est aux djihadistes revenus de Syrie.

Les médias rapportent qu’une vingtaine de Belges « d’extrême-droite » auraient suivi une formation paramilitaire « en Europe de l’Est ». On pense évidemment au bootcamp « Hussard », fondé par un Français à la suite des attentats de Charlie Hebdo, et basé en Pologne, même si la presse avance l’hypothèse d’un camp situé en Russie (les viles Russes fomentent tout ce qui déplaît aux journalistes : le Brexit, l’élection de Donald Trump, et maintenant les camps paramilitaires « d’extrême-droite ».) En réponse à une question parlementaire de la députée Jessika Soors (Écolo-Groen), le Ministre de la Justice Koen Geens a rappelé que la participation à ces camps paramilitaires n’avaient rien d’illégal. Ne voulant pas en rester là, la députée a tenu à partager ses « solutions » sur l’antenne de LN24 : « Il faut rendre ces camps paramilitaires illégaux. »

Ah. Une bonne vieille interdiction. On en attendait pas moins d’une députée écologiste, mais comment fait-on pour interdire des camps paramilitaires qui sont basés à l’étranger ? On flique les transactions et le feed social de tous les Belges partis en Europe de l’Est pendant les vacances ? Ou seulement de ceux qui ont des opinions qui leur valent d’être qualifiés « d’extrême-droite » par les médias dominants et les partis au pouvoir ? Avec quelles conséquences pour les libertés et la vie privée ? On ne le saura pas : la journaliste n’a pas trouvé opportun de poser la question, et la députée a directement embrayé sur sa seconde « solution » : « élargir la déradicalisation à l’extrême-droite ».

En général, quand on veut « élargir » une politique publique, on s’assure au préalable de son efficacité. Combien de djihadistes confirmés ou en devenir ont été « déradicalisés » avec succès depuis que la déradicalisation figure dans l’accord de gouvernement de 2014 ? Et comment mesure-t-on tout cela ? « Nous sommes encore dans les expérimentations ou les doutes sur l’efficacité des programmes de prévention » (selon Vincent Seron, criminologue à l’ULg, CETR)1. En fait, même dans la compréhension des processus de radicalisation « l’on constate des lacunes en matière d’études quantitatives » (selon Michaël Dantinne, criminologue à l’ULg, CETR)2. C’est à peine si les experts arrivent à se mettre d’accord sur une définition opérationnelle de la déradicalisation. À cela, il faut ajouter l’éclatement des compétences, qui rend impossible toute approche intégrale et holistique. Or, la déradicalisation concerne tout à la fois les écoles, les assistantes sociales, les policiers, les prisons, etc.

Des « returnees » d’Europe de l’Est, sérieusement ?

On ne peut donc que réprimer un petit rire gêné en entendant une députée parler le plus sérieusement du monde de « déradicalisation » comme s’il s’agissait d’une politique efficace et réplicable à l’envi. Mais du rire, on passe vite à la consternation, en réalisant l’énormité de la comparaison qu’elle établit avec les returnees de Syrie dans la suite de l’entretien. Je ne sais pas qui sont ces « extrémistes de droite » partis en Europe de l’Est pour suivre une formation paramilitaire, et il se trouve peut-être effectivement des tarés parmi eux qui mettront leurs nouvelles compétences à profit pour commettre des attentats terroristes. Je n’en sais rien, dans cette affaire tout est vague et confus, pour ne rien changer. Mais s’il s’agit des bootcamps organisés par Hussard ou de quelque chose de similaire – comme je le soupçonne, alors il faut remettre certaines choses dans leur contexte : ce sont des formations payantes, encadrées par des militaires en activité ou retraités, et sélectives (pour être admis il faut être majeur, avoir des papiers en ordre, présenter un certificat médical, détenir un permis de chasse ou une licence délivrée par une fédération sportive, etc.) On n’y va pas pour blesser, tuer, torturer, violer et piller, avant de rentrer chez soi en Belgique comme si de rien n’était, du sang encore frais sur les mains. Non, ça, c’est l’État Islamique.

Pourtant, Jessika Soors parle de ces quelques « extrémistes de droite » comme s’ils posaient une menace comparable au danger que représentent les dizaines de djihadistes revenus de Syrie. Dimanche dernier, trois Britanniques homosexuels qui se prélassaient dans un parc de Reading ont été poignardés à mort par un réfugié libyen de 25 ans. Le suspect était évidemment connu du renseignement intérieur britannique pour ses inclinations terroristes. Mais ce genre de nouvelles ne nous émeut plus. C’est devenu le nouveau quotidien des Européens. Et au lieu de poser des questions inconfortables sur les causes du terrorisme islamique, les politiciens et les journalistes préfèrent grossir à la loupe le problème (pourtant suffisamment préoccupant comme ça) du terrorisme d’extrême-droite, par effet de surcompensation. C’est une manière de dire : « Vous voyez, hein, sales racistes, que les islamistes n’ont pas le monopole du terrorisme ! » No shit Sherlock, comme on dit de l’autre côté de la Manche.

De toute façon, quand on fait face à un terroriste, on ne se demande pas s’il veut nous tuer au nom d’Allah ou de la suprématie blanche, mais comment faire pour s’en protéger et peut-être même (soyons fous) l’arrêter. C’est là en tous cas le principal argument de vente de Hussard sur la page française de leur site web : « Car aussi informé (<sic>) que puisse l’être une agence de renseignement, aussi performante que soi une brigade d’intervention, jamais elle ne pourra intercepter toutes les attaques ni intervenir immédiatement. » En réalité, la fréquence des attentats terroristes demeure quand même tellement faible que le Français moyen a plus de chance de mourir d’ennui devant un discours interminable de Macron que sous les coups d’un proverbial « déséquilibré ». Cela veut-il dire pour autant qu’il est déraisonnable d’apprendre à se servir d’une arme ?

Apprendre à manier une arme fait-il de vous un « extrémiste de droite » ?

Regardez l’actualité de cette semaine et jugez pour vous-mêmes. Avant-hier, à Brixton (Royaume-Uni), une « fête de rue » a dégénéré en émeute après une intervention de la police pour faire respecter les règles sanitaires. Plus de vingt policiers blessés dont deux à l’hôpital, une demi-douzaine de voitures défoncées, et des forces de l’ordre qui reculent devant les émeutiers hilares qui filment leur humiliation. Mais ce n’est rien comparé à ce qui s’est passé le week-end dernier à Stuttgart, en Allemagne, où 500 « jeunes » ont lancé des bouteilles et des pavés sur les agents de police, saccagé des vitrines de la zone piétonne du centre-ville, pillé plusieurs magasins, et renversé les poubelles et les bacs de fleurs. Bilan de cette nuit agitée : plusieurs blessés, dont une vingtaine de policiers, et une zone piétonne autrefois cossue qui ressemble maintenant à une zone de guerre. Sur une des vidéos filmées lors des évènements, on peut entendre un des « jeunes » crier « Allahou akbar ! ». Oh, j’allais oublier de mentionner cet autre jeune, un étudiant cette fois, qui s’est fait lyncher par la foule pour avoir essayé de faire entendre raison à des casseurs. Comme quoi, les policiers ne sont pas toujours là pour s’interposer…

Les émeutes vont intégrer notre normalité, comme les attentats terroristes. Comme pour le terrorisme, il n’y a aucune raison de se terrer chez soi : pour le moment, ces phénomènes sont circonscrits aux banlieues et aux centre-villes, et les policiers nous servent de boucliers humains. Jusqu’à quand ? Seul l’avenir nous le dira. Et si vous avez envie d’apprendre à manier des armes, c’est peut-être que vous êtes effectivement « d’extrême-droite ». Ou alors, peut-être que vous êtes tout simplement un être humain, doté de yeux pour voir l’ensauvagement de la société, d’un instinct de préservation pour vouloir vous en prémunir, et d’un cerveau pour comprendre que les policiers ne seront pa là tout le temps et partout pour vous protéger. En tous cas, c’est ce que pensent de plus en plus d’Européens : sur le vieux continent, le nombre de détentions d’armes à feu ne cesse de progresser, malgré des législations très strictes, et la Belgique n’échappe pas à cette tendance.

Nicola Tournay

1 Cité dans « Entre « déradicalisation » et désengagement : comparatif franco-belge » de l’Institut Royal Supérieur.

2 Idem.