L’Europe et le conservatisme du futur

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image Pixabay ancienne carte du monde

L’avenir de notre continent passe par la mise en avant de l’Occident et du christianisme et non par la voie du nationalisme ou de l’ultralibéralisme. Pour traverser cette période des plus troublées, les État européens n’ont d’autre choix que de rebâtir l’Europe et le conservatisme sur d’autres bases.

Les élections présidentielles en Pologne, les élections municipales en France et les luttes internes de l’AfD en Allemagne ont montré que, plus que jamais, et partout en Europe, une même bataille pour l’orientation interne des forces conservatrices fait rage, et qu’une simple unité politique sans une véritable unicité idéologique doit mener, tôt ou tard, à la défaite. C’est ainsi que je me suis senti très honoré quand la Stowarzyszenie twórców dla rzeczypospolitej (Association des artistes pour la république) – une association d’intellectuels conservateurs polonais proche du gouvernement actuel et dirigée par Zdzisław Krasnodębski – m’a demandé de rédiger un « préambule » pour une future confédération européenne, car il est plus urgent que jamais de dépasser la négativité d’une simple opposition de principe afin de développer une programmatique politique positive et claire pour une Europe du futur. D’autres initiatives de ce genre vont certainement suivre partout en Europe et mener rapidement, il faut l’espérer, vers une clarification idéologique des positions conservatrices et ainsi mettre un terme au processus difficile d’autodéfinition des patriotes européens afin de dévier enfin les énergies collectives de la lutte interne vers la lutte externe. Au sein de ce débat, deux aspects me semblent de la plus haute importance :

Premièrement, l’époque où chaque parti conservateur pouvait développer ses propres réponses à la crise, et ce en totale séparation de ses voisins, voire même sur base d’une idéalisation romantique et mythique de sa propre nation au détriment des autres, est révolue – ou plutôt : doit être révolue, si la civilisation européenne souhaite encore avoir une chance de survie. En effet, les « nations », bien que sans aucun doute d’une extrême importance pour l’Europe, ne sont pas l’expression suprême des sociétés humaines : au-dessus d’elles se trouvent encore les grandes civilisations telles que l’indienne, la chinoise, la musulmane ou l’occidentale. Dès lors, toute forme de fierté nationale ne peut être bénéfique pour la lutte conservatrice européenne actuelle que dans la mesure où elle inclut la conscience de l’importance fondamentale de l’héritage occidental dans toute sa complexité, transcendant de loin les intérêts des simples nations – tout comme la conscience de l’urgence d’une défense commune contre le risque d’une reprise par des nihilistes, des anarchistes ou des sociétés parallèles étrangères, comme nous le voyons aujourd’hui.

Photo de slon_dot_pics provenant de Pexels carte Europe

L’Europe, une union nécessaire

Ajoutons à ceci la dimension pratique : le cadre de l’État-nation est devenu nettement trop étroit pour la lutte actuelle, car sa menace ne vient pas seulement de l’intérieur, mais aussi de l’extérieur. Dès lors, il ne suffit pas ou en tout cas ne suffit plus que l’un ou l’autre État européen se décide à suivre son propre chemin et à s’opposer au danger de l’universalisme politiquement correct. Car l’alliance malsaine entre les institutions internationales, les médias établis, les marchés financiers et les grandes corporations est devenue beaucoup trop forte pour qu’un seul peuple européen puisse lui résister indéfiniment ; pensons seulement aux tentatives permanentes de pilonner les gouvernements conservateurs de la Pologne ou de la Hongrie au moyen d’une campagne médiatique sans pareille, de menaces de sanctions européennes ou du support massif de l’opposition respective. Sans l’alliance Visegrad, les gouvernements du Fidesz et du PiS se seraient écroulés depuis longtemps – imaginons seulement ce qu’une alliance Visegrad pour toute l’Europe serait en mesure de réaliser !

Car une chose doit être claire : la résurgence de plusieurs douzaines de nations, vivant indépendamment les unes à côté des autres, sauf pour d’occasionnels traités commerciaux, serait une catastrophe stratégique sans précédent pour l’occident : la plupart des nombreux petits et moyens États vivront de nouveau dans la crainte de leurs voisins plus puissants, avant tout l’Allemagne, et appelleront à leur secours des pouvoirs extérieurs tels que la Russie, la Chine, l’Arabie Saoudite ou les États-Unis, transformant ainsi l’Europe comme le Saint-Empire du 17e siècle en l’échiquier des intérêts et du machiavélisme de ses voisins.

Un libéralisme responsable

En second lieu : le chemin ultralibéral, tel qu’il est si souvent proposé par certains conservateurs, n’est conservateur qu’en apparence et représente une fausse route, car c’est justement l’ultralibéralisme qui a été à la racine de la plupart des problèmes dont nous souffrons aujourd’hui. Ceci explique aussi pourquoi l’on ne peut qu’être fort sceptique face à la nostalgie des dernières décennies du « bon vieux 20e siècle » qui fait rage dans certains milieux conservateurs. Certes, le passé peut et doit nous inspirer, mais l’on ne peut pas revenir dans le temps ; et bien souvent l’Histoire semble plus encline à tracer un cercle pour revenir, sous de nouvelles conditions, à ses origines, que de retourner seulement quelques années en arrière. Ceci semble d’autant plus important que la plupart des processus de décomposition que nous constatons et critiquons aujourd’hui ne viennent pas d’un vide historique, mais sont justement le fruit de cette idéologie ultralibérale qui caractérisa la seconde moitié du 20e siècle si souvent idéalisée aujourd’hui, bien que ses conséquences néfastes n’allaient devenir apparentes que maintenant, au début du 21e siècle.

Car certes, l’ultralibéralisme, par la délocalisation, l’immigration ou la rationalisation, a rendu possible un boom économique impressionnant, a adouci un système moral pouvant parfois sembler hypocrite et a initié une coopération étroite entre États européens aux intérêts communs, créant ainsi une phase de transition caractérisée par un apogée matériel superficiel. Mais d’un côté, comme le formule si bien le paradoxe de Böckenförde, ces années grasses furent dépendantes d’un fondement moral qui, lui-même, vivait de la substance historique des époques précédentes. D’un autre côté, elles devaient, tôt ou tard, et sans véritable rupture, générer exactement les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui : la désindustrialisation, la migration de masse, l’individualisme extrême, l’appauvrissement de la classe moyenne, la perte des valeurs, le relativisme judiciaire, le déclin de la démocratie, l’avortement de masse et la genèse d’institutions internationales hors contrôle.

Image par Gerd Altmann de Pixabay 

Évidemment, cette critique de l’ultralibéralisme n’implique nullement un plaidoyer pour l’autre extrême, c’est-à-dire pour un système socialiste centralisé, tel que nous en faisons actuellement de plus en plus l’expérience par le biais du « socialisme des milliardaires », donc de cette combinaison curieuse entre le pouvoir ploutocratique de quelques oligarques d’un côté et des masses ouvrières comblées par le pain et les jeux d’un autre – un état de fait qui est d’ailleurs la conséquence ultime et inévitable de l’ultralibéralisme, si l’on y pense bien. Notre seul espoir réside donc plutôt dans un chemin du juste milieu, fondé sur une base transcendante, et nous en trouvons l’exemple le plus parfait et en phase avec notre propre civilisation dans la doctrine sociale chrétienne, qui tente de trouver un juste équilibre entre individualisme, responsabilité et charité.

Cela vaut d’ailleurs non seulement pour le domaine économique ou social, mais aussi pour tous les autres : sans l’héritage gréco-romain et surtout judéo-chrétien, qui nous unit partout en Europe, l’occident serait impensable, et sans référence positive à ses racines, l’occident doit dépérir sans espoir de guérison. Dès lors, tout vrai conservateur devrait entretenir et défendre ces fondements de notre identité et donc d’une image très spécifique et incomparable de l’humain, de la famille, de la société, de la nation, de l’art et de l’occident, au lieu de l’affaiblir au nom d’une prétendue autonomie de l’épanouissement personnel. Car bien qu’il existe de nombreux autres chemins pour s’approcher du divin, occident et christianisme sont si intrinsèquement liés, que le chemin à la transcendance nous est rendu le plus aisé par le biais de la tradition chrétienne, qui, comme une langue maternelle spirituelle, nous sera à tout jamais la plus proche.

L’hespéralisme pour une identité positive

En somme, si l’Europe veut avoir un véritable futur, le conservatisme devra se distancier à la fois de l’ultralibéralisme et du nationalisme, développer un sain patriotisme occidental et oser réclamer son propre héritage historique ; une attitude politique et identitaire que j’ai appelé « hespérialisme » dans mon livre Renovatio Europae (actuellement sous presse dans la version française).

Car d’un côté, il est de notre devoir moral en tant qu’Occidentaux de défendre et de transmettre notre civilisation à l’insu de tous ses ennemis, même si nous étions certains de l’échec de nos tentatives – car toute autre attitude serait une trahison de notre mission. Or, nous devons non seulement défendre notre tradition par le combat politique, mais aussi dans notre vie quotidienne par notre exemple personnel afin de ne pas uniquement inspirer une compréhension abstraite de nos positions aux autres, mais aussi l’amour de notre héritage. Dans les prochaines années, les occasions d’un tel combat ne manqueront pas, car la défense courageuse de nos familles, voisinages ou monuments ainsi que le travail éducatif, associatif, social, médiatique et culturel deviendront de plus en plus importants, vu que le combat politique se déplacera de plus en plus de la lutte pour des électeurs et des majorités vers une véritable guerre des civilisations, où ce ne seront plus les programmes et les statistiques qui importeront, mais le charisme, l’allégeance personnelle et la disposition d’agir concrètement aujourd’hui et ici.

Et bien que l’Histoire semble vouloir renforcer temporairement nos adversaires politiques, la plupart des facteurs sont en faveur d’un conservatisme hespérialiste : la crise économique inévitable qui caractérisera les années prochaines va accélérer de manière inouïe la tendance vers l’appauvrissement, la diminution du pouvoir d’achat, la polarisation sociale, la surtaxation et l’inflation masquée : une opposition conservatrice disposant d’un programme social convainquant est plus nécessaire que jamais. Et autant la situation économique se gâtera, autant partout des fissures culturelles s’ouvriront dangereusement, comme les événements des dernières semaines, de Dijon en passant par Reading jusqu’à Stuttgart, l’ont montré partout en Europe : une lutte courageuse pour une culture de référence occidentale, clairement définie bien qu’ouverte à l’inclusion, paraîtra de plus en plus convaincante face au multiculturalisme politiquement correct insipide et autodestructeur.

Certes, tout ceci ne sera possible que si le combat est strictement coordonné et si la lutte ne se joue pas seulement à un niveau national, mais européen, afin de pouvoir compenser les conséquences de défaites occasionnelles tout comme intensifier les bienfaits des victoires qui ne manqueront pas de se produire. En somme, nous n’avons pas seulement besoin du courage de lutter pour la vérité, mais aussi du courage pour un patriotisme occidental.

David Engels