Les Néerlandais et les Frugaux ne veulent pas se ruiner pour éponger nos dettes

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Photo de Carlos Pernalete Tua provenant de Pexels

Et ils ont bien raison.

Radins ! Égoïstes ! Néolibéraux ! Luthériens mal baisés !

Sur Twitter et dans les pages « opinion » de la presse européenne, les commentateurs autorisés y vont de leur petite insulte pour stigmatiser le manque supposé de « solidarité européenne » dont se rendraient coupables les Pays-Bas et les quatre « Frugaux » (Danemark, Suède, Autriche et Finlande). C’est une véritable guerre des mots qui se jouent sous nos yeux depuis plusieurs jours.

L’Eurozone n’est pas la paix

J’ai vingt-six ans, et depuis que je suis tout petit, on m’a répété à l’école, à la télé, à la radio, et en famille, que « L’Europe (N.D.A. : comprenez l’Union Européenne) c’est la paix ». Pourtant, quand je pense à l’Union Européenne, je ne vois que des sommets diplomatiques interminables divisant l’Europe entre le Nord et le Sud, et entre l’Est et l’Ouest. Je me souviens d’un politicien néerlandais accusant les pays du Sud de dilapider leur argent « dans l’alcool et les femmes ». Je me souviens de manifestants grecs brandissant des panneaux comparant Angela Merkel à Adolf Hitler, et plus récemment c’est un ambassadeur maltais qui a osé cette comparaison outrancière. Je me souviens d’États discutant le plus sérieusement du monde d’ôter un autre État de son droit de vote au Conseil, tout en interférant dans ses affaires intérieures. Certes, ce ne sont pas des cas de guerre à balles réelles, mais ce n’est pas non plus l’idée que je me fais de la paix.

À l’inverse, quand on me parle de paix en Europe, je vois surtout une population embourgeoisée et grisonnante qui ne se ferait la guerre pour rien au monde, et qui de toute façon ne le pourrait pas, quand bien même elle le voudrait, à cause de son maître américain qui a posé des bases militaires partout sur son territoire. Non, même sans l’Union Européenne, l’Europe ne lancerait pas un troisième conflit mondial, et ce n’est pas un Prix Nobel immérité qui me fera changer d’avis. Cependant, à cause de l’Union Européenne, l’Europe est constamment divisée par des petites guéguerres verbales et symboliques qui ne font aucun mort mais endommagent durablement sa capacité à coopérer sur les questions qui comptent. Par exemple, la protection de nos frontières communes face aux ingérences du sultan Erdogan…

Le dernier conflit en date concerne le plan de relance européen post-coronavirus. Le sommet devait normalement durer deux jours, vendredi et samedi, mais les discussions se sont poursuivies à Bruxelles, dans la nuit de dimanche à lundi. Les négociations se poursuivent aujourd’hui à partir de 16h00. Elles finiront probablement par aboutir sur un compromis boiteux qui préservera le statu quo tout en permettant aux dirigeants du Nord comme du Sud de garder plus ou moins la face et de récolter les louanges de la presse unanime. Au passage, les clivages se seront un peu plus approfondis, et la confiance mutuelle en ressortira toujours plus éreintée.

Brisons le tabou de l’Euro

C’est le problème des unions contre-nature. Les économies du Nord et du Sud n’auraient jamais dû se retrouver dans une même zone monétaire sans mécanisme d’ajustement en fonction des niveaux de productivité. Les contribuables des pays « nordiques » qui se sont serrés la ceinture après la dernière crise pour sauver leurs finances publiques n’ont pas envie de voir leurs efforts réduits à néant en sauvant des pays qui n’ont pas fourni d’efforts comparables. Et c’est normal, quoi qu’on en dise. À leur place, nous ferions la même chose. La position des pays du Sud est d’autant plus intenable qu’ils bénéficient, malgré les réticences de l’épargnant allemand, de taux d’intérêt extrêmement bas et de rachat de dettes par la BCE. Et malgré toutes ces largesses, l’endettement de la Belgique, de la France et des pays du Sud, s’est au mieux stabilisé ou a augmenté. La confiance est rompue.

Les pays du Nord ont déjà cédé beaucoup de terrain : ils ont accepté que le plan de relance soit financé par un emprunt commun et ils ont accepté que ce plan comporte des dons sans obligation de réformes (contrairement au Mécanisme européen de stabilité). Le conflit porte sur la répartition de l’argent entre prêts et dons. Les pays du Nord préfèrent les prêts et les pays du Sud privilégient les dons. Au lieu d’accuser nos amis du Nord de radinerie et de pingrerie, nos dirigeants devraient plutôt se poser la question du bien-fondé de notre appartenance à une zone monétaire qui rend tout le monde malheureux. Pile, nous sacrifions leur épargne avec une monnaie trop faible, face ils sacrifient ce qui reste de notre industrie avec une monnaie trop forte. C’est un dilemme indécidable.

Comme le rapporte le Irish Times, l’économie continentale pourrait se contracter de 8,3 % en 2020. La crise qui s’annonce va être cataclysmique. Le statu quo a échoué, nous ne pouvons plus continuer comme avant. Profitons-en pour penser l’impensable : brisons le tabou de l’Euro, et mettons fin aux guéguerres interminables qui nous divisent.

Nicola Tournay.