Les députés siégeant à droite de l’assemblée nationale française et approuvant le principe de droit de veto du roi en 1789 sont-ils similaires aux députés siégeant à droite de l’hémicycle en 1960 ou encore aujourd’hui ? Et que dire de la gauche de 1789 qui verra au siècle suivant un schisme s’opérer dans ses rangs entre socialistes et libéraux, les premiers rejoignant les rangs de la gauche, les seconds virant leur cuti à droite, sans oublier les modèles centristes tentant tantôt une incursion à gauche, tantôt une incursion à droite ?
Je vais vous mettre quelques courts-circuits mais c’est pour la bonne cause.
Quand la gauche lançait la colonisation
Jules Ferry, homme de gauche, justifiait la colonisation par l’apport de la civilisation et de la culture occidentales à ces « peuples inférieurs » (je cite, m’engueulez pas), un beau concept rousseauiste nimbé de racisme paternaliste. Oui, la gauche était colonialiste et raciste à l’époque, ma bonne dame. Elle n’était pas la seule, vous me direz. On est d’accord mais à un paradigme près. Gustave Le Bon, homme de droite, était tout aussi raciste mais anticolonialiste, arguant que les « peuples inférieurs » n’avaient pas la structure intellectuelle pour absorber nos institutions et notre niveau de modernité.
Cap ou pas cap?
Jean Jaurès, également homme de gauche par excellence, était pour la retraite par… capitalisation ! Il voyait d’un très mauvais œil la mainmise de l’état sur les cotisations des ouvriers et des salariés. Il était donc en faveur d’assurances privées par capitalisation. Tout homme de bons sens qu’on qualifie de droite de nos jours validerait ce point de vue (je ne vous parle pas de « la droite la plus bête du monde », les droites française et belge se livrant à un concours permanent pour briguer ce titre). Il faudra attendre le maréchal Pétain pour nationaliser les retraites et passer à la pension par répartition lors d’une opération de sauvetage des finances de l’État français entre 1940 et 1941. Et c’est le colonel de Gaulle (oui, oui, colonel et non général, c’est un grade temporaire qu’il a conservé lors de sa retraite peinard en Angleterre) qui instituera la sécurité sociale par ordonnance dès 1945. Pas vraiment des hommes de gauche dans l’opinion publique, n’est-ce pas ? Et pourtant dans toutes les variantes de la gauche actuellement, on défend ces modèles.
Gauche homophobe et droite gay-friendly
Jusqu’à Mai 68 grosso modo, la gauche n’était absolument pas favorable à l’homosexualité qu’elle considérait d’ailleurs comme un vice bourgeois. Les extrêmes ne sont pas en reste. Ernst Röhm, bras droit d’Adolf Hitler et co-dirigeant du NSDAP (le parti nazi, désolé pour le point Godwin à nouveau), était ouvertement homosexuel. Ce n’est que pour une question de leadership au sein du parti que Hitler lui a reproché ce penchant dont il n’avait eu cure pendant dans années, et ce afin d’éliminer Röhm. A quand un devoir de mémoire de la communauté LGBT allemande à ce sujet au fait ? De leur côte, après la prise Cuba en 1959, Che Guevara et Fidel Castro ont abondamment cassé du gay. Ça pique, n’est-ce pas ?
Touche pas à mon poste, camarade!
Forte de la valeur travail qui était son pilier et son credo viril, la gauche soutenait originellement la famille, la natalité autochtone, et le maintien des frontières contre l’immigration. A ce sujet, confortée dans sa lecture toute marxienne quant à l’accumulation d’une armée de réserve par le patronat via l’immigration, la gauche, jusqu’au début des années 1980, s’opposait à la venue des étrangers, voyant dans leur afflux massif une possibilité pour le patronat de pratiquer le dumping social.
D’ailleurs, les premières vagues d’immigration vers la fin des années 1950 étaient largement appuyées par la droite et contestées par la gauche. L’économie tournait à plein rendement et, à défaut de main-d’œuvre supplémentaire venant de l’étranger, les salaires auraient connu un mouvement haussier, loi de l’offre et de la demande oblige. Alors les gouvernants ont cédé et ont adopté des lois successives sur l’immigration. Un glissement paradigmatique s’est opéré au début des années 1980 lorsque la gauche a compris qu’elle pouvait s’emparer de ce nouvel électorat, vigoureux au plan de la natalité et de la croissance démographique, en le poussant dans l’assistanat et en achetant donc le vote communautaire (avec l’argent du contribuable, c’est pas magnifique ?)
A gauche, on est passé de « touche pas à mon poste » à « touche pas à mon pote » avec Harlem Désir (enfin, Jean-Philippe Désir plutôt). A droite, on aura droit à « casse-toi, pauv’ con ! ». La grande classe ce Sarko…
La droite française (qui briguait déjà le titre de droite la plus bête du monde) s’est fait doubler sur son propre terrain. Il faut dire que l’argument économique ne jouait plus en sa faveur, les crises pétrolières, la récession et la stagflation des années 1970 ayant mis à mal le modèle de croissance des Trente Glorieuses. Cette vieille canaille de Mitterrand (la légende de gauche qui a été décoré de la Francisque d’extrême-droite) avait bien compris ce vent de changement. Ca lui a plutôt bien réussi en termes électoraux (même si son bilan économique est mauvais). Ah oui, j’oubliais, c’est sous la présidence de Valérie Giscard D’estaing (gouvernement de Jacques Chirac) que sera adoptée la première loi sur le regroupement familial en 1974. Ca fait pas très à droite ça, non ?
Votez pour moi
Côté belge, Walthère Frère-Orban (1812-1896), fondateur du Parti Libéral belge en 1846, était aristocratique et refusait donc l’égalité de droit. Il était contre le suffrage universel et estimait également que le vote devait demeurer censitaire (il fallait donc payer pour voter). Pas très libéral tout ça… Etonnant, non ?
Et je pourrais continuer avec de nombreux exemples de la sorte.
Y a de l’idée
Il faut considérer les idées dans le temps : comment se forment-elles ? Combien de temps mettent-elles pour imprégner l’opinion publique (et donc servir de gouvernail aux dirigeants politiques) ? Comment évoluent-elles ? Comment mutent-elles ? Comment meurent-elles ? Comment renaissent-elles de leurs cendres ? Cette jeune discipline (on ne va pas parler de science à ce stade) qu’est la mémétique nous renseigne sur les paradigmes, comment ils peuvent transcender la société et surtout les courants politiques d’une époque à l’autre, selon le zeitgeist du moment.
Quoiqu’il en soit, il est intéressant d’analyser comment des associations d’idées ou paradigmes peuvent tantôt pénétrer un camp tantôt en changer. Mais il faut bien avoir à l’esprit que le processus est très rarement bref et soudain. Il est graduel et peut s’étendre sur plusieurs décennies.
Il faut 50 à 100 ans pour que les idées d’un philosophe percolent dans la société en règle générale. Pour rappel, Karl Marx est mort dans la désillusion, ne terminant même pas le 3e volume de Das Kapital au grand dam de son ami et mécène Joseph Engels. Marx était persuadé à la fin de sa vie que ses idées ne verraient jamais le jour en Allemagne. On connaît la suite. Au fait, puis j’arrête là, aurait-il approuvé le marxisme 2.0 issu de l’interprétation léniniste ou encore la version 3.0 initiée par Antonio Gramsci et développée par les protagonistes de l’École de Francfort sous le titre de marxisme culturel ? Lorsqu’on connaît son Marx (originel), il y a lieu d’émettre des doutes. Les temps changent, les paradigmes aussi.
Terminons avec deux citations de Gustave Le Bon :
- « On rencontre beaucoup d’hommes parlant de liberté. Mais on en voit très peu dont la vie n’ait pas été principalement consacrée à se forger des chaînes. »
- « La raison crée la science. Les sentiments et les croyances mènent l’histoire. »
Jules Alove
PS : Je ne suis pas marxiste.