Le Haut-Karabakh, une plaie béante depuis des siècles

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Le Caucase
Le Caucase, une zone de tensions

Les combats ont repris dans cette zone source d’un conflit sans fin entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et tout porte à croire que la situation va s’envenimer. Mais à y regarder de plus près, ce territoire est en guerre depuis de siècles. Tout changement dans les grands équilibres géopolitiques finit par y avoir un retentissement, hier, comme aujourd’hui. 

C’est une zone située en Transcaucasie, d’à peine 11.000 km2 (un tiers de la Belgique environ) et peuplée de 150.000 âmes. Les traces de présence humaine y sont parmi les plus anciennes et remontent à -300.000 ans. Disputée depuis l’antiquité, cette région a été contrainte de résister ensuite aux Perses, puis aux invasions musulmanes. Conquise au XIXe siècle par les Russes, la région est intégrée par Staline en 1921 à l’Azerbaïdjan. En 1991, à la chute de l’empire soviétique après une série de pogroms anti-arméniens, lorsque la République d’Artsakh (nom du Haut-Karabakh) déclare son indépendance, aucun Etat ne la reconnaît. Depuis lors, ce territoire peuplé quasi exclusivement d’Arméniens vit sous tension permanente et des conflits sporadiques éclatent régulièrement. 

Sur cette carte établie par la CIA en 2009, on peut constater que la population du Haut-Karbakh est très majoritairement arménienne.

Selon Alexandre del Valle, que nous avons interrogé sur la question, « la situation au Haut -Karabakh est directement liée à celle en Arménie et des relation que celle-ci entretient avec la Russie, figure tutélaire régionale. Or l’Arménie a connu des troubles politiques liés à des problèmes de corruption en 2018 qui ont amené des changements au sommet dans le cadre de la « révolution de velours”. C’est dans cette fragilisation du lien entre Moscou et Erevan qu’il faut voir l’origine du regain de tension au Haut-Karabakh. Depuis toujours, l’Azerbaïdjan teste les réactions du grand voisin russe avec lequel il ne peut cependant pas vraiment entrer en conflit car leur passé commun et leurs liens sont trop importants« .

La dérive néo-ottomane d’Erdogan ne serait donc pas la cause première du conflit qui vient d’éclater. Cependant, elle n’aide pas précise le géopolitologue. En effet, Erdogan qui a pour habitude de sous-traiter l’implication turque sur différents théâtres d’opérations, notamment en passant par de troupes de mercenaires comme les milices SADAT, a redéployé plusieurs centaines (voire des milliers selon CNN) de combattants islamistes de Syrie et de Lybie vers le Haut-Karabakh. Le problème de cette instrumentalisation de djihadistes minorée par les Occidentaux risque bien de leur retomber dessus depuis le toit de l’Europe.

Le drapeau de l »Arstrakh.

Ce conflit est particulièrement difficile à cerner en raison d’une sorte de sédimentation des tensions dans le temps. C’est ce qui ressort des propos de Gérard Guerguerian, conseiller du Défenseur des Droits de la République d’Artsakh dans Le Figaro. Il ne s’agit pas seulement d’un énième choc culturel entre l’islam et les autres confessions comme c’est le cas au Mali avec les Peuls contre les Dogons, au Cachemire avec les Pakistanais contre les Indiens, en Chine avec les Ouïgours contre les Hans, ou au Myanmar avec les Rohingyas contre les Birmans. Le Haut-Karabargh est aussi tributaire des poussées nationalistes turque et iranienne. Ce conflit s’inscrit en outre sur fond de profondes mutations de la géopolitique de l’énergie de la planète qui redistribuent les cartes de la fortune. A mesure que la logique des blocs s’efface pour d’autres dynamiques, la pertinence de la Turquie au sein de l’Otan s’amenuise comme le relève l’historien arménien Raymond H. Kévorkian.

Le Haut-Karabakh n’a pas fini de faire couler l’encre, ni le sang. Le génocide des Arméniens de 1915 devrait guider les Occidentaux dans la recherche d’une solution pacifique afin d’éviter le pire. Malheureusement, là, c’est de Munich et de 1938 dont il faut se souvenir…

T.H.