Le Bataclan, ce n’était pas il y a cent ans

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Commémoration des attentats de Paris, dont celui du Bataclan.
Image par Pavlofox de Pixabay , Commémoration des attentats de Paris, dont celui du Bataclan.

13 novembre 2015. C’était il y a cinq ans. Pourtant on croirait que c’était il y a cent ans tant notre rapport au terrorisme s’est transformé en si peu de temps. Chaque attentat notoire (on ne compte plus les faits de terrorisme perpétrés régulièrement par des « déséquilibrés ») offre l’occasion pour la population de franchir une étape dans l’acceptation du phénomène. Aujourd’hui, l’horreur absolue se déploie sans retenue quotidiennement dans nos rues et la plupart de nos contemporains ont intégré le terrorisme comme une nouvelle dimension pour décliner ce mantra si cher à nos élus: « le risque zéro n’existe pas ».

A la sidération du 11 septembre (2001), nos calendriers peuvent ajouter les bougies du 13 novembre (2015) et les doudous du 22 mars (2016) passés les câlins du 7 janvier  (Charlie, en 2015, pour ceux qui l’auraient déjà oublié). Le terrorisme est tellement présent dans notre quotidien qu’il serait possible de substituer au calendrier des Saints celui des attentats. Depuis le 9/11, qui pourrait constituer le premier jour de l’an dans l’égrenage du temps selon des canons post-modernes, chaque jour de l’année trouvera l’occasion d’être noirci par le terrorisme islamique. Du 11 mars à Atocha (2004) au 21 août pour le Thalys (2015), on n’a que l’embarras du choix, et même des doublons, comme avec Merah qui a poursuivi ses basses oeuvres du 11 mars au 21 mars (2012). 

A chaque fois, les autorités distillent ce même discours formaté et lénifiant axé sur l’unité. Entendez, le pardon, l’inaction. L’inertie de cet “Etat de droit” qui ne serait pas une faiblesse à en croire Acquittator Dupond-Moretti, devenu maître de cérémonie funèbre par la grâce de son statut de garde des Sceaux.  Ces gens qui prospèrent sur la division de la société en s’attribuant des chasses politiquement gardées redeviennent les champions de l’unité quand l’équilibre du système vacille mettant du même coup leur carrière en péril. En dehors des commémorations où ils empruntent une mine grave pour agrémenter leurs pompeux discours rassemblistes, ils financent, qui une mosquée salafiste, qui une école coranique, quand d’autres ne célèbrent pas la rupture du jeûn aux côtés de Frères musulmans. Les moments de recueillement ne leur procurent aucun sentiment de culpabilité. Au contraire, ils transforment ces instants de solennité en autant d’occasions pour normaliser le terrorisme. Certains vont même jusqu’à culpabiliser la population en la rendant responsable de ce fléau qui trouverait ses origines dans la discrimination et l’islamophobie. 

Après vingt longues années de descente aux enfers sécuritaires, la plupart d’entre nous intègre le terrorisme comme un risque auquel nous sommes tous exposés et qui « finalement tue moins que les accidents de la route ». A-t-on jamais vu une stèle érigée à toutes les victimes de la route? Bien sûr que non, car ces deux formes de« risques » ne peuvent pas faire l’objet d’un traitement identique. Pourtant, tout est fait pour entretenir la confusion et effacer la spécificité de l’acte terroriste.

En nous poussant à penser de la sorte, nos élus et leurs médias entendent passer sous silence l’essence même du phénomène qui n’est pas de terroriser, comme son nom ne l’indique pas mais de prendre le pouvoir. La terreur n’est qu’une étape dans le processus. Chaque attentat n’est pas un « accident », une « occurrence », mais une bataille perdue contre l’ennemi qui veut prendre le pouvoir et qui numériquement en a déjà les moyens.

Contrairement à ce que nos élus et les médias qu’ils financent affirment, la terreur n’étant pas une fin en soi, il est inapproprié de feindre de l’ignorer. Il faudrait, selon le discours officiel « ne pas céder à la peur ». Ceci n’aurait de sens que si notre peur était l’objectif final de notre ennemi. Combien de fois n’entendons-nous pas « continuons de vivre normalement et ne laissons pas les terroristes triompher en leur offrant ce qu’ils veulent ». C’est lourdement se tromper sur ce qu’ils veulent. Ce n’est pas la peur qu’ils visent, mais le pouvoir.

Cela paraît tellement « énorme » et tellement simpliste, voire improbable pour les « grands civilisés » que nous sommes… Nous avons tellement perdu le sens du leadership à force de nous laisser gouverner par des technocrates totalement détachés du réel. Nous sommes plus de sept milliards. A l’échelle de ce monde surpeuplé, l’esclavage est certainement la forme la plus répandue de contrat de travail et le viol est probablement la façon la plus courante pour un homme de signifier son intérêt pour une femme. L’Occident était parvenu à créer une parenthèse civilisée, « Quelques grammes de finesse dans un monde brutes » comme on le chantait dans la pub pour le chocolat Lindt dans les années 80, époque d’insouciance et sorte d’apogée…

Aujourd’hui, nos élus convoquent le terrorisme pour nous inviter à nous pencher sur les circonstances de notre mort (en en tolérant de nouvelles)  là où nous devrions surtout nous interroger sur les conditions de notre vie.

Que voulons-nous? Célébrer nos victimes du terrorisme tel des soldats tombés sur le front dans notre volonté de préserver notre civilisation où la liberté de penser et de blasphémer sont cardinales? Ou bien entendons-nous énumérer une liste de noms pour mettre vaguement un visage sur de simples « casualties »? Faudra-t-il attendre cent ans pour comprendre ce qui s’est vraiment joué au Bataclan?

Dominique Dumont