La mondialisation de l’information nous rend tous racistes

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Photo de Kaboompics .com provenant de Pexels - mondialisation

Au lieu de nous rapprocher, les flux d’information nous éloignent en nous mettant le nez sur nos différences culturelles.

Ils remettent ça… Qui « ils » ? Les Chinois. Quoi « ça » ? Manger tout ce qui leur tombe sous la main, même quand c’est dégueulasse, même quand c’est vivant et que ça remue encore.

C’est ce qu’ont dû penser les quatre cinquièmes de l’humanité, en entendant que le « wet market » de Wuhan – d’où est fort probablement partie la pandémie qui paralyse le monde – avait rouvert ses portes depuis la fin du confinement de Hubei.

Depuis le début de la pandémie, les vidéos de Chinois se filmant en train de manger des animaux improbables se sont multipliées sur la toile. Le monde entier peut les voir dévorants avidement des poulpes encore vivants, des vers gesticulants, un chat cuit à la vapeur, un rôti de chien, sans oublier la fameuse soupe de chauve-souris ou le pangolin écaillé. Chaque année, des photos et des vidéos en provenance du festival de la viande de chien de Yulin mettent le feu aux réseaux sociaux. Le coronavirus, baptisé « virus chinois » par Trump, n’a fait que remettre de l’huile sur les braises.

Atterrés, les internautes se demandent si les Chinois apprendront un jour les leçons de cette pandémie. Mais les habitants de l’Empire du Milieu ne sont pas les seuls à avoir réagi bizarrement à la propagation du coronavirus : une vidéo d’Indiens s’immergeant dans de la bouse de vache pour « se désinfecter du coronavirus » a fait le tour du net. Plus inquiétant encore, une figure de proue du nationalisme hindou, proche du Premier ministre indien Narendra Modi, a déclaré que l’ingestion d’urine de vache protégeait contre le coronavirus.

Les Africains ne sont pas en reste : un télévangéliste nigérien dangereusement populaire attribue le coronavirus à une conspiration de l’Antéchrist pour imposer… la 5G, causant l’hilarité et la consternation sur YouTube et Twitter. Quant au tristement célèbre pasteur texan Kenneth Copeland, il prétend guérir du coronavirus en soufflant « le vent de Dieu » à travers les téléviseurs des Américains…

C’est comme si tout Internet conspirait pour confirmer nos pires stéréotypes racistes ; sur la gloutonnerie obscène des Chinois, la scatologie bovine des Hindous, et le bigotisme hallucinant des évangélistes africains et américains.

Photo de Markus Spiske provenant de Pexels – Internet

Éviter les conclusions hâtives

Pourtant, quelques efforts de recherche et de réflexion devraient nous empêcher de tirer des conclusions hâtives et malheureuses. En Chine, la ville de Shenzhen a interdit la consommation de chat, de chien et d’animaux sauvages. Les bizarreries alimentaires sont avant tout des bizarreries provinciales qui provoquent le dégoût et l’ire des Chinois urbains et éduqués. L’hindouisme, au sujet duquel le philosophe allemand Schopenhauer disait le plus grand bien, ne peut pas se laisser réduire aux superstitions populaires de l’Inde profonde (ni à l’odieux système des castes). En Afrique, la priorité n’est pas à la stigmatisation des pasteurs frappadingues mais à la vigilance face à des gouvernements autoritaires tentés par la surréaction policière. Quant aux évangélistes américains, leur nombre et leur influence décroît au sein d’une population qui se sécularise à la vitesse grand v.

Que les Européens n’oublient pas non plus de balayer devant chez eux avant de pointer l’étranger du doigt : en Italie, le politicien le plus populaire du pays a suggéré de rouvrir les églises pour Pâques, alors que la pandémie commençait seulement à refluer, pour gagner la « protection du cœur immaculé de Marie ». D’ailleurs, les croyants n’ont pas le monopole de l’irrationalité : le gouvernement de la très laïque République de France lance une mission sur « la place des femmes dans les médias en temps de crise », alors que les citoyens pleurent après des masques et des tests. Les voies du Progrès sont impénétrables…

Informer n’est pas communiquer

Et pourtant… ces images et ses vidéos nous parviennent de l’étranger, sans filtre, sans contexte, parfois même sans commentaire. Elles surgissent dans notre fil d’actualité, sur Twitter ou sur Facebook, elles suscitent notre incompréhension hilare ou indignée, et nous n’avons ni le temps ni la volonté de les nuancer et de les contrebalancer par d’autres informations. On pensait que la mondialisation de l’information nous rapprocherait, à la place elle nous plonge le nez dans nos différences, et les peuples découvrent à quel point ils sont étrangers les uns aux autres. Les frictions culturelles suscitées par l’immigration massive ont le même effet d’accentuation des différences, et cela n’augure rien de bon pour la paix civile en Europe de l’Ouest.

C’est la différence entre la communication et l’information, comme le soulignait Dominique Wolton dans un essai prémonitoire. Quand on communique, on cherche un point d’accord, pour faire passer son message et se faire comprendre de son interlocuteur. À l’inverse, l’information est brute : elle se jette à la face du récepteur, sans considération de ses effets sur icelui. L’internationalisation des médias a mondialisé l’information, pas la communication. Non seulement nous ne nous comprenons pas mutuellement, mais en plus les occasions d’incompréhension se multiplient.

L’échec du « village global » n’est pas une raison pour généraliser la censure sur les réseaux sociaux ou balkaniser l’internet. Mais c’est une raison de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant d’entonner des refrains mondialistes convenus, comme « un problème mondial appelle une solution mondiale ». La pandémie du coronavirus nous montre au contraire à quel point nous sommes différents, et à quel point la conscience de nos différences s’accroît, tandis que notre capacité à gérer ces différences stagne dangereusement.

Nicola Tournay