GLOIRE ET DEBOIRES DU NUCLEAIRE AU PAYS DU SURREALISME

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L'avenir énergétique suspendu au sort de Doel 4 et Tihange 3
L'avenir énergétique suspendu au sort de Doel 4 et Tihange 3

Au courant du mois de novembre, le gouvernement fédéral belge se penchera sur le sort de nos deux dernières centrales nucléaires: fermer ou maintenir temporairement en activité Doel 4 et Tihange 3. Outre plus de 7.000 emplois, c’est l’avenir énergétique de la Belgique qui se joue. Les ménages et les entreprises du pays pourront-ils se fournir en électricité… et à quel prix? Tout cela est entre les mains du gouvernement De Croo qui doit se positionner sur la décision prise jadis par un autre gouvernement libéral teinté de vert, Verhofstadt I. Mais cela remonte à 2003, un autre temps où les gouvernements tombaient encore…

UN BRÈVE HISTOIRE DU NUCLÉAIRE BELGE

L’histoire du nucléaire en Belgique est celle d’un grand secteur dans un tout petit pays.

La Belgique a été une nation pionnière dans le nucléaire civil. Grâce au Congo,  elle avait accès à des gisements d’uranium. Durant la seconde guerre mondiale, les Belges ont échangé cette matière première avec les Britanniques et les Américains contre un accès aux connaissances et aux technologies dans le domaine du nucléaire civil. C’est ainsi que le premier réacteur nucléaire du continent a été construit à Mol. C’est aussi à Mol que le retraitement des déchets et la fabrication du combustible recyclé MOx a été mis au point. C’est encore à Mol que l’Europe et le gouvernement belge soutiennent le développement d’un réacteur du futur de génération 4 à neutrons rapides ; c’est le projet Myrrha.

En 1975 la Belgique disposait de trois centrales : Doel 1 et Doel 2 en Flandre, et Tihange 1 en Wallonie. Plus tard, dans les années 1980, le parc nucléaire s’est agrandi avec Doel 3 et 4 ainsi que Tihange 2 et 3.

En 2003, une loi adoptée sous le gouvernement arc-en-ciel Verhofstadt prévoit la fin de la production d’électricité par les centrales nucléaires en Belgique en 2025 (pour autant qu’en novembre 2021 ce même gouvernement considère que cet abandon est faisable en se reportant sur les énergies renouvelables accompagnées de centrales au gaz dites TGV (cycle combiné gaz-vapeur)). C’était à l’époque le « trophée » des partis écologistes. Ceux-ci après avoir réalisé une spectaculaire poussée en 2000 se sont écrasés en 2003. Néanmoins, aucun gouvernement n’a osé revenir franchement sur cette décision.

Pourtant, les centrales belges ne sont pas en fin de vie. Les autorités de sûreté dans plusieurs pays ont homologué la durée de vie de centrales à réacteur à eau pressurisée comme celles dont nous disposons, jusqu’à 60 ans et même 80 ans. 

La prolongation de la vie de 20 ans des deux réacteurs Doel 4 et Tihange 3, qui coûterait, selon certaines estimations, 1,6 milliards d’€, ne ferait qu’ajouter moins de 0,005 € au prix du kWh produit pendant ces 20 ans. Un demi centime de plus au kWh ! Le nucléaire est une énergie bas carbone et les nouvelles technologies sont à la fois plus sures et bruleront les ce que l’on appelle aujourd’hui des déchets dont le stock actuel garanti plus de 500 ans de réserve énergétique. 

LA FIN MAL PROGRAMMÉE DU NUCLÉAIRE

Il faut également rappeler que maintenir le nucléaire assurerait une rente de 3,5 milliards d’€/an pour l’Etat. C’est ce qui a amené un représentant de l’OCDE à relever l’absurdité d’une politique qui consiste à détruire un outil de production amorti qui ne génère pratiquement plus que du bénéfice.

Aujourd’hui, l’énergie nucléaire génère plus ou moins 75 % de toute l’électricité bas carbone produite dans notre pays. Les 25 % restants des sources bas carbones proviennent des énergies renouvelables. Si nous fermons les centrales nucléaires en 2025, en augmentent la contribution des énergies renouvelables, vu leur intermittence et la nécessité de maintenir une production suffisante, de nombreuses centrales au gaz devront être construites. Les émissions de CO2 de notre pays augmenteront alors considérablement.  Selon les scenarios, l’augmentation serait au minimum de 35% mais pourrait monter jusqu’à 150% en fonction du type d’énergie que nous serons contraints d’importer.

Accessoirement, cette consommation accrue de gaz contribuera à la flambée des prix du gaz. Le prix de revient de l’électricité nucléaire dépend très peu du prix de l’uranium (+/- 5%) par contre le prix de l’électricité produit par les centrales à gaz dépend fort du prix du gaz (60% ou plus). Le prix de l’électricité, en Belgique, ne peut donc qu’augmenter en fonction de l’arrêt des centrales nucléaires.

Par ailleurs, le coût des quotas d’émissions de CO2 augmentera et le plafond global des émissions acceptées diminuera progressivement tirant ainsi encore peu plus les prix à la hausse.

Enfin, ce n’est pas un détail, le nucléaire belge génère 7.000 à 7.500 emplois directs et indirects. Il s’agit d’une véritable filière pour ne pas dire un fleuron de l’industrie, avec ses emplois hyper-qualifiés, ou pas. Que n’a-t-on entendu les syndicats lors de la fermeture de l’usine Renault à Vilvoorde. Il s’agissait de de 3.100 emplois…

POURQUOI UNE TELLE DESAFFECTION ? 

Depuis des décennies, des générations d’écologistes surfent sur la confusion entre nucléaire militaire et civil pour attiser des peurs irrationnelles qui sont devenues leur fonds de commerce. Ces mouvements ont habilement exploité les accidents de Three Mile Iland, Tchernobyl et ensuite Fukushima pour justifier le sacrifice de cette énergie qui a bien mauvaise presse … dans une presse totalement idéologisée et déconnectée des éléments techniques qui sous-tendent cette industrie vitale pour un pays comme la Belgique où elle tient une place prépondérante. On nage en pleine irrationalité .

En 2018, la consommation d’énergie primaire de la Belgique atteignait 53,2 Mtep soit 620 TWh dont 450 TWh d’énergie fossiles utilisées pour notre mobilité en général, pour le transport maritime, pour le transport aérien, pour les usines métallurgiques, pour les cimenteries, l’industrie chimique, … 

En 2020, la consommation d’électricité en Belgique est de 85.4 TWh dont 

33 TWh de nucléaire, 27 TWh de fossile, 18 TWh de renouvelable et un solde de 8 TWh de biomasse, déchet et hydraulique.

Les dispositions légales imposent que la préférence soit donnée aux renouvelables au détriment du nucléaire qui peut assurer 47 TWh.

Pour « contrôler » le climat, il faudra remplacer 450 TWh de fossile par de l’électricité.

Dans une logique décarbonée, comment ajouter plus de 450 TWh aux 18 TWh de renouvelables actuellement produits ?

Sans la moindre connaissance scientifique, on comprend tout de suite qu’il s’agit d’une mission impossible. Un expert de l’OCDE a fait remarquer que la Belgique, qui ambitionne 100% de renouvelable, était un pays capable de faire reposer plus de la moitié de la production de son électricité sur des technologies qui n’existent pas encore !

COMMENT EST-ON PASSE DE L’IRRATIONALITE AU  SURREALISME ?

Je pense que la réponse est partiellement apportée dans un tout petit ouvrage  « Ce que le militantisme fait à la recherche » de Nathalie Heinich  qui nous dit : « À cumuler la posture du chercheur qui étudie les phénomènes avec celle de l’acteur qui tente d’agir sur eux, on ne fait que de la recherche au rabais et de la politique de campus.».

Damien Ernst, scientifique belge spécialiste de l’énergie ne dit rien d’autre lorsqu’il décrit, pas plus tard que cette semaine, « le Disneyland » belge. Selon lui, la politique énergétique de notre pays est tombée sous influence des sciences humaines qui se sont emparées du sujet sans en maîtriser les tenants et les aboutissants sur les plans technique et scientifique. Nous assistons donc à une déconnexion complète du réel pour satisfaire des objectifs purement idéologiques.

Celui qui fut le chouchou des médias en est devenu le paria depuis que son opinion a changé sur le nucléaire en 2017. Il pointe aussi, et à juste titre, l’hégémonie d’un courant écologiste décroissant. A vrai dire, on a le sentiment que ce dernier se réjouit de voir l’énergie devenir inabordable tant on l’entend répéter que la meilleure des énergies, c’est celle que l’on ne consomme pas. 

Et de réel, il en est de plus en plus question à mesure que les prix de l’énergie frisent avec l’impayable. On apprend ce matin qu’en France, 60% de la population a réduit le chauffage dans son habitation. Ils n’étaient que 30% en 2019 à être touchés par la précarité énergétique. Il en sera de même en Belgique,  lorsqu’il faudra baisser la température dans les hôpitaux, les hospices ou les crèches !

Pourtant, Damien Ernst nous propose une voie, celle de l’éco-modernisme, qui consiste à miser sur la recherche et les investissement dans des technologies nouvelles bas carbone afin d’assurer une énergie abondante et abordable pour tous. Les scientifiques de bonne foi sont conscients du rôle que peut jouer le nucléaire dans ce changement de paradigme écologique.

Avec ma d’anthropologue, le maintien et le développement du nucléaire m’apparaissent comme un enjeu civilisationnel :

Une énergie chère conduira des millions de Belges dans une situation intenable. Nombre d’entreprises du secteur seront menacées de disparition, comme c’est déjà le cas de certains fournisseurs d’énergie en Grande-Bretagne qui déposent le bilan faute de pouvoir honorer la fourniture de contrats à prix fixes alors que leurs coûts explosent.

Les particuliers seront privés du confort minimal ; la compétitivité des entreprises sera en berne. Ce qui ressemble fort à une crise de l’énergie peut très vite muer en une crise sociale économique et financière. Si notre politique énergétique tient du surréalisme, ses conséquences socio-économiques tiendront bien du réel !

En Belgique, plus qu’ailleurs, nous avons beaucoup à perdre dans l’abandon du nucléaire. Nous avons basculé dans l’incertitude énergétique. Il est moins une pour ne pas nous enfoncer dans la précarité énergétique et voir le pays gravement déclassé au sein de l ’UE.

Pour conclure, nous pouvons résumer le catalogue belge des plus mauvaises pratiques  en disant que  sortir du nucléaire :

  • Ne réduit pas les risques. Il y 13 réacteurs à nos frontières dont 5400 MW rien qu’à Dunkerque et d’autres en construction. La centrale des Pays Bas est prolongée à 60 ans et il y est envisagé 10 nouvelles centrales. 
  • Cela ne résout pas la question du CO2 liée à l’électricité.
  • Cela ne résout pas la question des déchets. Le prolongement ne produira que très peu de déchets en plus et contribuera au financement, le tout sera de toute façon à traiter.
  • Cela augmente notre dépendance à la Chine pour les éoliennes et les PV et à la Russie, aux USA et au Qatar pour le gaz.  
  • Cela augmente la facture d’électricité des ménages et de l’industrie.
  • Cela nous prive d’une ressource efficace et économique pour produire de l’hydrogène indiqué pour réduire les émissions de CO2 liées à l’industrie et aux « gros » transports.
  • Cela causera la destruction de milliers d’emplois tout comme celle de compétences internationalement reconnues.

En attendant, la Belgique se rêve en Dubaï du Nord grâce à son impayable projet d’île énergétique ficelé avec la magie des taux zéro. Et si le vent venait à s’absenter, elle se rassure peut-être en imaginant finir sous protectorat énergétique français pour lui éviter le pire. Mais justement, c’est pour éviter le black-out en France qu’un Macron – qui a pourtant laissé fermer sans le moindre état d’âme la centrale de Fessenheim l’année dernière – se ravise maintenant en sortant le grand jeu nucléaire. Il faut dire que la méforme des écologistes (donnés à moins de 7%) dans un système majoritaire ne lui demande pas vraiment de courage politique.

En Belgique, c’est un tout petit peu différent…

Tatiana Hachimi