En finir avec le cordon sanitaire

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En finir avec le cordon sanitaire
Photo de kat wilcox provenant de Pexels

Tandis que le souverain ne sait plus à quel chargé de mission se vouer pour mettre sur pied une coalition introuvable, qu’elle soit arc-en-ciel, arizonienne ou inspirée des saisons de Vivaldi, une certitude s’impose pour élargir le champ des possibles : en finir avec le cordon sanitaire. Si l’ambition du Vlaams Belang est d’arracher l’indépendance de la Flandre, et probablement pas de monter dans un attelage fédéral, ostraciser par principe le grand gagnant des élections est antidémocratique.

Depuis le début des années 90, tous ceux qui font profession d’être des démocrates dans ce qu’il reste d’une Belgique en capilotade ont rangé l’adversaire politique, mué en ennemi, derrière un cordon sanitaire. Depuis, le principe est rappelé, tel un marronnier, à chaque soubresaut de la « bête immonde ». Ca ne mange pas de pain, ça vous transforme en résistant (de pacotille, c’est-à-dire qui ne prend pas de grands risques), ça fait de vous celui qui a vu le monstre du Loch Ness (qui, pas plus que le nazisme dans la Belgique d’aujourd’hui, ne connaît – heureusement – de soubresaut), ça vous évite de communiquer sur les sujets sensibles qui préoccupent le peuple (immigration, identité, valeurs…)

La réalité est plus prosaïque : la mise en quarantaine des partis jugés trop à droite n’est que tactique, certes efficace, permettant aux partis de moins en moins phase avec leur électorat de se maintenir au pouvoir. Il n’est qu’à regarder les tentatives de survie du CDH (armé d’un nouveau slogan – « il fera beau demain » -, d’un processus « participatif » de « co-construction » du programme, et de quelques godillots) pour se convaincre que les partis traditionnels rejoindront vite les livres d’histoire. On peut même supposer que les échiquiers politiques verront dans un avenir pas si lointain s’affronter trois grandes forces : les partis traditionnels (mondialistes, progressistes, épris de multiculturalisme, se définissant eux-mêmes comme le « cercle de la « raison ») qui finiront par fondre leurs coalitions de perdants dans des partis communs (on prend les paris que le CDH et Défi seront les premiers à unir leurs forces), la gauche anticapitaliste et immigrationniste, enfin la droite patriote, civilisationnelle et implantée géographiquement.

Les médias, francophones du moins, se sont mis au diapason en n’invitant jamais plus les partis assumant leurs positions patriotes et à droite sur leurs plateaux: il en est ainsi du Vlaams Belang, mais il en fut également de feu le Parti Populaire, et il en sera de même pour toute formation ou personnalité défendant tantôt la nation, tantôt – comme c’est mon cas – le génie de la civilisation européenne. Pis, les journalistes se gargarisant de grands principes à défaut de haute culture – pour finir de s’en convaincre, il suffit de se replonger dans la dernière polémique née de la carte blanche, sans style ni relief, de Florence Hainaut -, mais conscients de leur pouvoir, distribuent les brevets en élégance, transforment une saillie de bon sens en dérapage, moquent tout dirigeant privilégiant l’intérêt national face aux délires mondialistes (il n’est qu’à avoir le traitement réservé à Donald Trump, Matteo Salvini ou Marine Le Pen).

On l’a compris : pour la démocratie, on repassera. Rien de plus naturel, néanmoins, que les phalanges partageant un idéal (« national flamand » dans le cas du Vlaams Belang et de la N-VA, formant ensemble « la plus grande famille politique du pays ») tentent de s’allier afin d’accomplir leurs rêves d’indépendance. Rien de plus normal que la désormais plus grande formation de Belgique, selon les sondages, soit associée aux discussions sur l’avenir du pays et que Tom Van Grieken, son sémillant président, soit invité sur les plateaux télévisés. Rien de plus démocratique tout simplement que la voix de centaines de milliers de citoyens soit entendue.

Laissez-moi terminer enfin en vous narrant deux anecdotes révélatrices de l’ampleur du déni démocratique qui prévaut en Belgique. 

Fin du siècle dernier, tandis que j’étais jeune étudiant à l’ULB encore impressionnable et qu’à mille kilomètres de l’auditorium le FPÖ de Jorg Haider allait accéder au pouvoir, un de mes professeurs de l’époque interrompit son cours pour nous avertir, la larme à l’oeil, que des camps de concentration allaient être érigés dans les campagnes autrichiennes. C’était à l’époque aussi où Louis Michel nous enjoignait de ne pas nous rendre en vacances en Autriche. Nous avons vu ce qu’il en est advenu : l’Autriche est restée ce beau pays montagneux et aux villes tellement européennes ; elle ne s’est jamais transformée en dictature sanguinaire comme on nous l’annonçait ; à bien des égards, elle est plus libre que la Belgique corsetée dans la bien-pensance.

Enfin, exceptionnellement invité sur un plateau lors d’une campagne électorale précédente, je fis face à Denis Ducarme, représentant le Mouvement Réformateur, tandis que j’en faisais de même pour le Parti populaire. L’homme ne se départit, ce jour-là, de son air bougon et de sa voix de stentor que pour jouer à tu et à toi dans une doucereuse mélodie avec le représentant du PTB : on connut les libéraux plus enclins à combattre l’hydre communiste. Le même Denis Ducarme ne daigna pas me saluer, ni avant ni après le débat : tout bienveillant que je suis dans la vie de tous les jours et ouvert aux opinions d’autrui, je devais avoir le masque de la bête immonde. 

Une question reste en suspens : un pays incapable de former un gouvernement plus d’un an après les élections, une deuxième fois depuis le début du siècle, a-t-il un avenir ? Les prochains soubresauts (au tour d’Egbert Lachaert de tenter sa chance !) et, surtout, les élections futures apporteront une réponse. Mais on ne peut décemment, au nom des principes démocratiques, outrepasser l’avis d’une large partie de l’électorat.

Gregory Vanden Bruel