
Emilie Dequenne avait ce talent discret qui caractérise souvent les stars belges. Brillante mais accessible, elle était cette « girl next door » au sourire désarmant. L’unanimité des messages de sympathie renforcent ce sentiment d’avoir perdu beaucoup trop tôt une personne remarquable. Son impossible combat contre un ennemi invincible, un cancer redoutablement agressif laisse aujourd’hui un arrière-goût de désespoir.
En ce 26 mars, dix jours après son décès, de nombreuses personnes étaient présentes pour lui rendre un dernier hommage au cimetière du Père-Lachaise. Et toujours ces témoignages, comme celui émouvant de Nicole Calfan qui corrobore l’image d’une personne attachante dotée d’une extrême gentillesse.
Sans prétendre être dans la tête d’Emilie Dequenne, mais pour l’avoir écoutée s’exprimer sur son cancer, nous devinons l’énergie qu’elle a mis pour financer la recherche contre ce fléau et surtout celle qu’elle aurait pu mettre pour mobiliser autour de cette cause si elle n’avait pas été emportée. Son dernier geste, dérisoire face à l’immensité des besoins, aura été de demander des funérailles sans fleurs pour sensibiliser son public, et le monde, à l’importance des dons. Nous avons tous croisé sur un faire-part de décès avec cette formule malheureusement consacrée : « Ni fleurs, ni couronne. Si vous souhaitez marquer votre sympathie, versez un don au compte XX :0000… au profit de la recherche contre le cancer». Pour Emilie, ces dernières volontés auront été les suivantes: « Préférez nous aider à faire progresser la recherche sur le corticosurrénalome en faisant un don à l’Institut Gustave Roussy« .
Osons le réel jusqu’à la trivialité : le cancer, c’est une question d’argent. Et même de gros sous. Développer une molécule pour le combattre, c’est mettre peut-être un milliard sur la table. Une grande partie du travail se passe en amont, au niveau de la recherche fondamentale. Or, c’est le parent pauvre. Le Téléthon comme le Télévie en Belgique tentent de répondre au dénuement de ce secteur qui avance pourtant à pas de géant lorsqu’il est suffisamment financé.
Malheureusement, la plupart des chercheurs , au lieu d’être mobilisés exclusivement sur leur disciplines sont contraints de se consacrer à d’innombrables tâches administratives qui les tiennent très éloignés de la lutte contre le cancer. Entre les appels d’offres, les recherches de sponsors et celles sur Trivago pour trouver l’hôtel le moins cher quand ils participent à des conférences sur fonds propres, ils n’ont que l’embarras des mauvais choix.
D’une certaine façon, chaque euro qui n’est pas investi dans la lutte contre le cancer – ou d‘autres formes de maladies graves – constitue une forme de crime contre l’humanité. A l’inverse des coûteux projets délirants dans lesquels nos représentants nous entraînent, au risque de mettre nos finances en péril, chaque euro investi dans la recherche contre le cancer se traduit par des vies sauvées. L’ennemi commun, c’est la maladie et la mort. Il est universel. Il devrait rassembler la société contre lui. Au lieu d’investir dans la lutte contre ce mal qui brise net la vie de ceux qui y succombent et cabosse celle des survivants, voilà des décennies que nos responsables politiques dilapident des milliards dans causes inutiles quand elles ne sont pas nuisibles. Faut-il le rappeler, en Belgique, nous avons toujours 66 milliards qui n’ont pas trouvé leur place dans la comptabilité de l’Etat.
Soyons fous, imaginons qu’un seul petit dixième de cette somme soit alloué à la lutte contre le cancer. Poursuivons dans la trivialité et considérons cette somme comme un investissement et non une dépense : que d’économies réalisées dans le volet « soins de santé » ! On n’oserait pas mentionner le coût d’un traitement d’immunothérapie de peur de voir un « Publifineur » s’emparer du sujet pour rogner sur cette dépense afin de maintenir un niveau de salaire qui a pu atteindre 9.800€ /h. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Imaginons les avancées sur ce front contre la maladie, celui qui devrait nous mobiliser de façon prioritaire, avec une telle masse salariale allouée à la recherche !
Emillie, pour ce dernier jour, que les plus belles fleurs qui nous viennent à l’esprit vous accompagnent dans l’au-delà. Vous avez amplement mérité leur parfum. Ici-bas, nous nous battrons pour que l’armement contre le cancer soit suffisamment financé, pour que nos chercheurs soient correctement équipés dans leur combat contre la mort.
Le message que vous avez voulu transmettre en douceur et à cœur ouvert, nous le martèlerons avec rage pour que les morts n’aient plus la douleur de devoir choisir entre les fleurs et une promesse de soin.
R.I.P. Emilie
Tatiana Hachimi