ECRITURE INCLUSIVE: une révolution à bas bruit, entre progressisme et totalitarisme

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L'écriture inclusive, du progressisme au totalitarisme
L'écriture inclusive, du progressisme au totalitarisme, image Pixabay

Une tribune de Grégory Ioannidopoulos et Sylvain Marchal, professeurs.

Le 28 septembre dernier, la commission Droit des femmes du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté à l’unanimité un texte imposant l’usage de l’écriture inclusive dans toutes les institutions publiques de la Communauté, ou subsidiées par elle.

Quelques voix dissidentes se sont fait entendre, qui ont dénoncé l’application de cette réforme à l’enseignement, pointant une complexification de la langue française dont pâtiront tous les élèves. Quoique parfaitement fondées, ces critiques passent cependant à côté de l’essentiel : les motivations  idéologiques de ce décret.

Ainsi, que la langue soit un héritage périodiquement codifié, selon une évolution naturelle portée par ceux qui la pratiquent, notre Commission Droit des femmes de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Excusez du peu !) n’en a cure. Au nom de la sacro-sainte “égalité des genres”, elle s’arroge en effet le droit d’imposer une modification artificielle du français, faisant fi des recommandations de l’Académie française, jugée seul arbitre des élégances linguistiques par un Gouvernement français pourtant peu suspect de conservatisme, et qui a décidé, lui, de bannir l’écriture inclusive de ses textes officiels.

Il est intéressant de se pencher sur quelques exemples d’interventionnisme linguistique fournis par l’histoire. D’abord, en pleine Terreur et aussitôt après avoir modifié le nom des mois (thermidor, brumaire etc., comme d’autres modifient le nom des vacances scolaires), la Convention légiféra en faveur du tutoiement généralisé au sein de l’administration, lequel symboliserait la sociabilité populaire de la nouvelle République française, quand le vouvoiement incarnait l’Ancien régime honni. Un député proposa même de le rendre obligatoire en toutes circonstances, mesure rejetée, car considérée comme incompatible avec les libertés publiques. Grands admirateurs de la Révolution française, les dirigeants bolchéviks, Lénine en tête, ont toujours accordé la plus grande importance aux travaux des linguistes soviétiques. Réputés même à l’international, ces derniers ont constamment plaidé pour une intervention consciente des “autorités scientifiques” sur la langue, c’est-à-dire sur les esprits de ses locuteurs… Une volonté semblable de faire table rase du passé fut l’une des pierres angulaires d’autres régimes communistes de sinistre mémoire. A l’occasion de la Révolution culturelle, les petits gardes rouges de Mao, des adolescents fanatisés, firent disparaître des milliers de sculptures, tableaux, textes anciens – sans parler de plusieurs millions de personnes -, au nom d’une lutte contre les “vieilleries” censées entraver l’avènement de l’homme neuf. Quant au proche Cambodge, il a vu tout un riche vocabulaire exprimant politesse et sentiments “bourgeois” disparaître de la nouvelle société forgée par les Khmers rouges, tandis qu’au moins 20 % de sa population était génocidée.

L’Italie fasciste ne fut pas en reste et entendit substituer le pronom italien voi à la formule de politesse lei, perçue comme d’origine étrangère et insupportable signe des hiérarchies sociales. Car dans sa volonté de “forger l’homme nouveau”, une partie du parti mussolinien, fidèle à ses origines socialistes, ne voulait plus voir la moindre trace de différences de classes entre Italiens. Enfin, à l’autre bout du spectre totalitaire, le Troisième Reich chercha à germaniser la langue allemande en la purgeant autant que possible de son lexique, et donc de ses concepts, d’origine latine. Par ailleurs, notons le volontarisme du gouvernement canadien dont le site officiel livre de nombreux conseils pour pratiquer l’écriture inclusive. Sollicitude salutaire au pays de Justin Trudeau, lorsque l’on sait que dans la foulée d’une loi fédérale de 2017 criminalisant le fait de “mégenrer” un individu, de très sérieux juristes entendent désormais donner des conseils sur le meilleur usage des pronoms pour éviter au quidam de se retrouver au tribunal pour crime de haine : quand le glaive de la Justice remplace les pages du Grévisse… Tous ces régimes, après avoir éliminé des mots, finirent par éliminer des hommes, quand le dernier, il est vrai, s’est pour l’heure contenté de brûler des livres jugés politiquement incorrects.

Désirant créer un “Homme nouveau” en le coupant de son héritage, tous ces régimes ont bien compris que la langue exprimait un rapport au monde hérité du passé et qu’il leur appartenait donc de la subvertir. En tant que trésor reçu, partagé et transmis, la langue constitue une part essentielle du patrimoine d’une société. Elle est un bien commun, au même titre que monuments, tableaux et autres statues. A ce titre, quelques semaines après le retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan, il est justifié de rappeler qu’il y a vingt ans, ce mouvement détruisait à l’explosif l’un des glorieux témoignages du passé afghan, les bouddhas de Bâmyiân. Le tort de ces merveilles aux yeux des vandales : incarner un temps, des valeurs, un monde condamnés par le présent et le futur à construire. Comparaison n’est pas raison, mais force est de constater que ce sont précisément ces griefs qui sont adressés à la langue française par nos révolutionnaires de salon, désireux de purifier la langue, les mœurs et les esprits.

On ne peut que légitimement s’inquiéter qu’une telle transgression ne suscite aucune opposition politique digne de ce nom. Nul parti ne montre en effet la moindre inquiétude devant cet exemple de cancel culture, le débat portant sur les modalités d’application du texte. Or ce décret témoigne bel et bien d’une pulsion totalitaire, et s’y opposer relève non pas d’une quelconque misogynie, mais bien d’un débat politique de la plus haute importance. En effet, il promeut un saccage qui découle d’une volonté progressiste, dite inclusive, d’ériger le présent en combat de tous les instants, au nom d’un idéal dont le futur doit assurer le triomphe. Seul exclu de ce nouvel avatar de la vieille utopie révolutionnaire : le passé, car trop masculin (ou trop blanc, ou trop chrétien, ou trop hétéro… Faites votre choix). Le passé, dont nous héritons et qui nous façonne, nos précieux.ses ridicules féministes, en dignes représentant.e.s des déboulonneurs de statues d’outre-Atlantique, le détestent, plus qu’iels n’aiment les femmes.