Dimanche 30 novembre 2025, 21h38. Dans une indifférence quasi générale, le réacteur de Doel 2 a été mis à l’arrêt après 50 années d’activité. C’était le cinquième sur les sept réacteurs que comptait le pays. Cette erreur historique dans la politique énergétique ne sera pas sans conséquence sur l’approvisionnement, ni sur les prix de l’électricité. En Belgique, comme en Europe.
Les écologistes en ont rêvé. L’Arizona l’a fait.
En 2003, les écologistes amenés trois ans plus tôt au pouvoir par les libéraux flamands obtiennent la sortie du nucléaire pour 2025. L’idée probablement la plus stupide depuis la création de la Belgique est ainsi actée dans une loi. Ceux qui mesuraient la profonde nocivité de cette décision se sont laissés bercés par des promesses électorales. On se souvient du MR et de ses 5 réacteurs en activité, sinon rien… La vérité, c’est que le projet de sortie du nucléaire était à la fois tellement perché et tellement énorme que personne ne l’a réellement pris au sérieux. On a traité le groupe écologiste, avec condescendance, comme un adolescent qui fume trop de substances illicites, sans voir qu’il est prêt à se foutre en l’air… avec toute sa famille, transformant son suicide en un famillicide « altrusite ».
La vie politique du royaume, spectaculairement technique et assommante a continué son cours chaotique grâce au fameux compromis à la belge : une sorte d’union libre entre la carpe et le lapin qui vire à l’échangisme quand entrent en scène les rats et les vautours. Beaucoup d’électeurs y perdent leur latin. C’est à dessein. L’opacité de ce modèle qui repose sur des petits arrangements politiciens fait surtout perdre de vue l’essentiel. C’est ainsi que de législature en législature, les écologistes ont joué la montre en laissant gentiment pourrir l’éléphant dans la pièce que personne ne voulait voir. Par ailleurs, et ce n’est pas un détail, l’Etat obèse mais pas stratège a commencé par revendre son électricien historique à un gazier (Suez/GDF). Ensuite, au cours des années de tergiversations relatives à la sortie du nucléaire, les Belges ont particulièrement mal négocié avec Engie (ex Suez/GDF).
Des arguments qui n’en sont pas
Selon Eric Van Vaerenbergh, entrepreneur et chargé de cours d’appareillages et réseaux électriques haute tension à l’ECAM, les arguments avancés par Engie pour justifier l’arrêt de Doel 2 n’en sont pas.
« Doel 2 ne dispose plus de licence d’exploitation ». C’est techniquement exact. Mais il s’agit d’une décision politique qui aurait pu tout autant autoriser le contraire, à savoir une prolongation comme celle accordée pour les deux réacteurs maintenus en activité jusqu’en 2035. C’était d’ailleurs LA promesse électorale autour de laquelle s’était construit le gouvernement « Arizona ». On en retrouve encore des traces sur le site du MR.
Autre argument avancé par Engie : « Doel 2 ne correspond plus aux dernières normes en matière de résistance aux chutes d’avion et aux normes sismiques ». Selon notre interlocuteur, ces normes que la Belgique a choisi d’appliquer trouvent leur origine dans des recommandations techniques européennes non contraignantes. Elles font partie de l’héritage laissé par le passage des écologistes au pouvoir. Nous savons tous que les centrales nucléaires sont des sites particulièrement sécurisés, depuis leur conception. Et, faut-il le rappeler, le bassin liégeois où se situe Tihange a été frappé en 1983 par le plus important phénomène sismique du XXe siècle en Belgique avec un tremblement de terre d’une magnitude de 5 sur l’échelle de Richter. 16.000 bâtiments furent touchés. La centrale de Tihange, elle, s’en sorti sans le moindre dommage.
L’Allemagne, devenue pathologiquement anti-nucléaire sur la fin de l’ère Merkel, n’a fait qu’amplifier l’entêtement dans l’erreur. A cette époque, les partis qui, comme le MR, auraient dû avoir le courage de défendre notre parc nucléaire ne l’on pas eu. Et comme cette énergie repose sur des projets au long cours que les somnambules qui nous gouvernent ont peine à concevoir, nous sommes arrivés, beaucoup plus vite qu’ils ne l’avaient prévu, à un stade où commercialement, les choses devenaient très difficilement négociables. On n’achète pas de l’uranium dans une centrale d’achat. Si on se désiste, si on passe la commande, il faut attendre des années dans la file pour retrouver sa place en cas de changement d’avis. Le nucléaire est une énergie du temps long et de la planification. Cela ne sied plus à notre pays et à la gouvernance de boutiquiers qu’il pratique depuis trop longtemps.
Un sursaut, trop tardif
La pandémie et surtout la guerre en Ukraine ont provoqué un sursaut qui a fait prendre conscience de l’absolue nécessité de maintenir un maximum de centrales en activité. Alors que le MR disait vouloir conserver cinq réacteurs actifs sur les sept que compte le pays, il ne sera finalement parvenu qu’à en maintenir deux en activité : Doel 4 et Tihange 3. C’est une véritable trahison au nom d’une chimérique transition. C’est à peine le minimum pour ne pas démarrer 2026 avec un black-out. On pourrait imaginer acheter de l’énergie nucléaire à la France. Sauf que l’Hexagone qui compte 59 réacteurs en est actuellement privé de 19, pour cause de maintenance. Les chiffres peuvent varier. Mais il est illusoire de compter sur l’intégralité des réacteurs en tout temps.
Les deux réacteurs qui nous restent ne seront pas suffisant pour couvrir nos besoins. Il faudra donc compenser par énormément de gaz… qui sera bientôt grevé d’une taxe carbone dès 2027. Dans un contexte d’électrification des usages et de développement des data centers, la demande d’électricité est amenée à augmenter et à tirer les prix vers le haut. Jusqu’à l’impayable pour les ménages, pour les entreprises, pour les collectivités. Jusqu’au black-out. Nous ne serons jamais prioritaires auprès de nos voisins qui de toute façon nous revendront leur électricité en se laissant de belles marges. Ils auraient tort de se priver. Nous aurions fait pareil, avec l’Allemagne, par exemple que l’indigence énergétique oblige à investir 600 milliards d’euros pour compenser la fermeture de ses centrales. Et c’est un minimum qui pourrait grimper à 1000 milliards. L’industrie allemande est aux soins intensifs, sans certitude de s’en sortir. Too big to fail. Really?
Ce n’est pas une transition. C’est une trahison
Oui, tout aurait pu être différent si un parti comme le MR avait eu le courage de débrancher les gouvernements auxquels il a participé en faisant du maintien du nucléaire une condition non négociable. Les écologistes l’avaient fait jadis pour demander sa tête. Le bon sens était pourtant du côté de notre parc nucléaire. Seule a manqué la détermination de ses avocats. Toutes nos centrales auraient pu être prolongées. Nous aurions alors bénéficié d’une électricité quasiment gratuite car produite par des infrastructures amorties. De nombreuses voix se sont élevées. De nombreux scientifiques, à l’image de Jacques Marlot, ont livré un combat acharné pour mener une mission prométhéenne : garantir une énergie abondante et abordable à la population.
Au lieu de cela, notre pays qui fut jadis une grande nation nucléaire, devient le mauvais élève d’une Europe elle-même en plein déroute énergétique. Les politiques ont une part de responsabilité, à commencer par leur manque de connaissance des dossiers. Mais ce ne sont pas les acteurs les plus zélés du déclin. Ils n’en sont que les notaires. Ceux qui ont véritablement précipité notre sort énergétique sont avant tout à rechercher dans les médias. S’il faut retenir le nom des valeureux « quidams » qui ont tenté de sauver nos centrales en ramenant le sujet au cœur du débat, en interpellant les élus, en mobilisant les citoyens, il convient aussi de nommer ceux qui ont manipulé l’opinion publique. Parmi ceux-ci, le très militant Arnaud Ruysen, qui sévit sur les ondes de la RTBF avec l’assurance d’un instituteur s’adressant à une classe d’illettrés, mérite une grosse médaille en chocolat « Net Zero ». Lorsque vos enfants feront leurs valises pour chercher un avenir professionnel sur un continent où il existera encore de l’emploi, soutenu par des approvisionnements en énergie, rappelez-vous les noms de ceux qui auront pesé pour en priver l’Europe.
Comment rater le tournant anthropologique de l’IA ?
A l’heure où la robotique et l’IA dessinent les nouveaux contours de la production de richesses, le vieux continent a totalement raté le tournant car il ne disposera pas avant longtemps de l’énergie nécessaire pour faire tourner le monde qui est sur le point d’advenir. A défaut d’intelligence artificielle, nous devrons subir les conséquences de la bêtise humaine.
Aujourd’hui, une IA dans le secteur bancaire peut remplacer à elle seule les tâches effectuées par 270 personnes. Appliqué à la politique ou mieux, à la RTBF, ça fait rêver. En Belgique plus qu’ailleurs !
Tout n’est pas totalement perdu. Nous pourrions redémarrer nos centrales en une dizaine d’années. Mais c’est précisément cette décennie qui sera cruciale et porteuse d’un tournant anthropologique majeur. Si nous ne sortons pas de notre somnambulisme, nous nous réveillerons déclassés et misérables dans un monde qui aura embrassé, sans nous, une nouvelle ère. Le destin de l’humanité ne nous attendra pas.
Tatiana Hachimi



