DETTE PERPETUELLE : piège ou opportunité ? (2/2)

868
Image par angelo luca iannaccone de Pixabay argent magique

Dans la première partie de l’article, en plus d’un aperçu théorique et historique, nous avons vu que les obligations perpétuelles sont des instruments qui peuvent s’avérer utile dans la gestion du passif pour les emprunteurs comme dans la gestion de l’actif pour les investisseurs.

Dans le cadre de la gestion de leur dette publique, les états sont-ils toujours bien avisés d’émettre des obligations perpétuelles ? D’ailleurs, le font-ils, même en période de taux bas ? Quelles sont les conséquences pour le budget et donc les contribuables ? Est-ce moral et légitime d’agir de la sorte, particulièrement vis-à-vis des générations futures ?

Le cas de la Belgique

En Belgique, l’Agence Fédérale de la Dette est chargée de la gestion de la dette publique avec pour objectif principal de minimiser son coût financier pour l’État fédéral, en tenant compte des risques de marché. Elle dépend du SPF Finances sous la tutelle du ministère fédéral des Finances.

Son site nous apprend que :

  • la dette publique belge s’élève à 423 880 184 213 EUR au 30/04/2020,
  • le taux de rendement actuariel à 10 ans est à moins 0,03% (négatif !) au 29/05/2020. Ceci signifie en fait que la Belgique peut émettre à taux négatif entre 1 an et 10 ans, donc se faire payer pour utiliser l’argent d’autrui. Son taux de rendement actuariel à 30 ans est à 0,68% à ce jour pour info,
  • les ratings sont  Aa3/AA/AA (le meilleur rating est AAA).

Sur base des documents à la disposition du lecteur, on constate également que la dette :

  • a un coût moyen implicite de l’ordre de 1,85% l’an à ce jour (contre 3,75% il y a 10 ans),
  • est répartie sur une duration moyenne actuelle de l’ordre de 10 ans (contre 6 ans il y a 10 ans), particulièrement en raison de l’extrême faiblesse des taux,
  • le ratio dette/PIB est de l’ordre de 99,4% au 31/12/2019 (contre 100% il y a 10 ans).

On peut en effet apprécier la réduction du coût de la dette sur la dernière décennie ainsi que l’allongement de sa duration moyenne. Cependant, si la situation dépeinte ci-dessus ne semble pas trop alarmante au vu d’un pays développé comme la Belgique, c’est sans compter sur la crise du coronavirus qui nous révèle des lendemains qui déchantent.

En effet, avec une contraction du PIB estimée à 5% cette année (approche optimiste) et un déficit budgétaire estimé à 45 milliards d’euros (approche optimiste à nouveau), le ratio dette/PIB devrait exploser à plus de 117% (alors que les projections de la BNB sont inférieures à 104% !), soit à peu près son niveau au début des années 1990 lorsque le premier ministre Jean-Luc Dehaene a dû prendre le taureau par les cornes et nettoyer les écuries d’Augias en pratiquant la « rage taxatoire » afin de plus ou moins rééquilibrer les finances de l’état belge. Le problème, c’est que la fiscalité n’a pas diminué dans l’intervalle et on imagine mal (mais sait-on jamais avec nos politiciens) renchérir le coût du travail en Belgique, le pays occupant généralement la pole position au plan international. A ce stade, on n’a pas encore considéré les prestations sociales supplémentaires que l’état-providence devra décaisser (enfin, le contribuable en fait) pour le chômage excédentaire généré par la crise, sans parler du financement des pensions et de la sécurité sociale en général. Egalement, il faudra voir les niveaux d’endettement des ménages et les mauvaises créances dans les bilans des banques, ce qui nous réserve indubitablement son lot de surprises. Ayons également une pensée émue pour les tribunaux de commerce qui devront tranchés les différents litiges liés au faillites et défauts de paiement.

Le rôle des banques centrales

Mais d’abord, pourquoi les taux sont-ils aussi bas ? Il y a plusieurs raisons à cela, les banques centrales, y compris la BCE, ont injecté massivement des liquidités dans le marché pour stimuler le crédit, la demande globale de consommation et donc la croissance économique. Comment ont-elles fait ? Elles ont réduit massivement, parfois à 0, leurs taux directeurs (taux minimum de refinancement des banques privées à 2 semaines). Elles ont ensuite procédé à une création massive de monnaie fiduciaire ex nihilo pour se positionner ensuite en tant que prêteur auprès des banques privées à des taux très réduits mais aussi en tant que primo-souscripteur d’obligations d’états, entraînant dès lors une baisse des rendements actuariels (donc baisse du coût de l’emprunt pour les états) et une forte hausse des prix de ces obligations. A ce jour, la BCE achète environ 45% de toute émission publique belge (OLO = obligation linéaire obligatie), ce qui est énorme. D’ailleurs, seulement 40% de la dette totale est détenue par des investisseurs belges, en premiers les banques et SICAVs pour des raisons réglementaires, entraînant un peu plus les taux à la baisse. Les taux de rendement de ces titres très prisés par les banques étant à la baisse, vous comprenez maintenant pourquoi votre livret d’épargne officiel vous paie un misérable 0,11% l’an ce jour (et encore, les banques belges sont obligées de le faire par arrêté royal). 

Bref, la politique monétaire vise la réduction drastique des taux d’intérêt, ce qu’elle parvient à faire brillamment, pour stimuler la croissance économique, ce qu’elle fait beaucoup moins bien. Mais pourquoi ? La BCE, en pompier pyromane, a alimenté une bulle de la dette énorme en gonflant son propre bilan (c’est là que se trouve l’inflation en fait). La création monétaire fiduciaire a également exercé un effet dilutif sur le pouvoir d’achat des gens dont le revenu réel moyen stagne depuis au moins 20 ans en Belgique (merci à la fiscalité également). Compte tenu d’une délocalisation soutenue des industries pour produire à bas coûts sur les 40 dernières années, notamment en Chine, les importations massives de biens produits à l’étranger, où la création de valeur et les gains de productivité ont eu lieu, n’ont pas freiné la spirale désinflationniste (la désinflation signifie qu’il y a toujours de l’inflation mais elle diminue) des prix des biens de consommation. Par contre l’immobilier a connu une forte hausse des prix principalement alimentée par la baisse des taux d’intérêt (et une demande soutenue en milieu urbain).

Petite digression, vous comprenez pourquoi nos brillantes « élites » ont été « refugees welcome » ces dernières années ? Il s’agissait de pallier le manque de demande de consommation dû à une démographie déclinante en réalité. Mais, visiblement, nos « élites éclairées » n’ont pas intégré dans leur équation les niveaux de productivité et la volonté de contribuer des « ingénieurs, avocats et médecins » accueillis…

Alors, comment sortir de cette impasse ? Il semble que le milliardaire « philanthrope » Georges Soros ait la solution à notre problème : mutualisons les dettes en lançant un grand emprunt européen perpétuel de 1000 milliards d’euros. Un pas de plus vers l’accumulation de dettes, un transfert de plus sur le dos des générations futures, une charge fiscale en plus puisque la dette publique est un impôt différé dans le temps, le coût de l’intérêt en sus, une fuite en avant vers l’irresponsabilité collective, une mise à mal (définitive ?) des souverainetés nationales, une peine à perpétuité pour les contribuables présents et futurs vu la caractère perpétuel de la dette.

En allemand comme en néerlandais, dette se dit schuld. Ce dernier mot fait également référence à une faute dans les deux langues. En effet, un débiteur doit supporter le poids d’une dette, faute d’avoir été capable de produire et utiliser les ressources à sa disposition dans un environnement sain. Et pour se débarrasser de ce fardeau, il fait face à deux choix : faire défaut (avec toutes les conséquences catastrophiques que cela suppose) ou se réformer pour bâtir une économie solidement assise sur des fonds propres, une politique budgétaire équilibrée et une politique monétaire maîtrisée. On ne bâtit pas un monde sur de la dette. C’est un colosse au pied d’argile qui finira par s’effondrer et emporter le peuple dans son sillage. Nous ne pouvons infliger une peine à perpétuité aux peuples européens, encore moins à leurs enfants et petits-enfants. Si tel est le cas, la postérité nous maudira. La dette mutualisée perpétuelle sera notre Némésis.

Jules Alove