Dessine-moi un oligarque

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Dessine-moi un oligarque
Dessine-moi un oligarque, image Pixabay

Club de foot à vendre ; propriétés « gelées » ; yachts saisis… les sanctions occidentales ont opté pour la version large spectre contre la Russie, au risque de détruire les fondements du droit de propriété et de pencher dangereusement vers la « nationalisation ». Dans ce dernier épisode de la guerre froide qui oppose l’autoproclamé « monde libre » à la Russie, c’est désormais au tour des oligarques de passer à la trappe

Oligarque, première AOP russe ?

Nul besoin de le mentionner, l’oligarque est russe. C’est comme ça. C’est culturel, et ça ne se discute pas. C’est une évidence occidentale. D ‘ailleurs, c’est bien connu, en Russie, tout homme d’affaires qui a réussi est un oligarque. Pas de doute, la presse nous ne se trompe jamais de cible dans désignation des oligarques. C’est édifiant

En revanche, si l’on s’en tient à la stricte définition de l’oligarque, c’est-à-dire le membre d’une classe dominante restreinte qui participe au pouvoir, on observera que les oligarques qui ne disent pas leur nom mènent bon train, bien en dehors de la Russie. Les liens incestueux entre le monde politique, journalistique et celui des affaires ne sont pas un monopole russe. Après tout, du temps de sa splendeur, Stéphane Moreau, ex-patron de Nethys n’entendait-il pas créer un pôle médiatique incontournable? Un rêve brisé en 2020.

Remontons quelques années en arrière aux Etats-Unis. Comment qualifier un Dick Cheney ou un Donald Rumsfeld ? Le premier, ancien  secrétaire à la Défense impliqué dans l’invasion en Irak a été propulsé à tête de la société pétrolière Halliburton qui y a décroché les contrats du siècle. Quant au second, Rumsfeld, il a lui aussi exercé les mêmes fonctions de secrétaire à la Défense après une carrière dans le secteur de l’industrie pharmaceutique qui lui avait permis de vendre des armes chimiques et biologiques à Saddam Hussein (qu’il finira, ironie de l’Histoire, par faire exécuter une quinzaine de jours après avoir quitté ses fonctions de « ministre de la guerre d’Irak »).

Plus près de nous, si l’on se réfère à la stricte définition de l’oligarchie, où classer le fils de Joe Biden, Hunter ? Mêlé à des fonds d’investissement chinois et ayant trempé dans des arrangements opaques avec des  oligarques ukrainiens (si, si, ils existent ! Même si on aime pas trop les évoquer, la proximité historico-géographique avec la Russie a laissé quelques traces sémantiques qui n’ont pas encore été totalement gommées du langage officiel occidental) comme Mykola Zlochevsky comment ne pas voir en Biden Junior un petit « oligarque sans frontières » ?

En jouant les puristes, on pourrait même voir des oligarques wallons dans ceux que jadis Di Rupo qualifiait de « parvenus ». Cela dit, nos magouilles locales dans Publifin ou dans les usines de retraitement des déchets, face à des sociétés actives dans les matières premières à l’échelon mondial, on peut comprendre qu’aucun journaliste n’ait osé se couvrir de ridicule en qualifiant un Moreau ou un Mathot d’oligarque.

Sans compter que ceux à qui cette appellation d’origine protégée semble réservée disposent en général d’une solide formation. Oleg Deripska ? Diplômé avec mention en physique de l’université Lomonosov, sans compter une formation additionnelle en économie. Vaguit Alekperov ? Ingénieur chimiste et docteur en économie, il a commencé à travailler durant ses études sur des champs de pétrole dès 1968 pendant que d’autres, à Paris, paradaient sur des barricades pour ne plus jamais rien faire ensuite sinon capitaliser sur une photo « mythique ». Cohn-Bendit, si tu nous lis… Peut-être qu’avec de tels oligarques, la Wallonie se porterait moins mal qu’avec les médiocres diplômés en Science politique des universités francophones qui se succèdent au creusement de sa dette.

Les oligarques sont de grands garçons qui ont les reins solides et qui en ont vu d’autres. Ils s’en remettront, ou pas. Darwin est au cœur de leur ADN économique et il n’est guère question de se lamenter sur leur sort. En revanche, en tant qu’Occidentaux, ces attaques en règle contre le patrimoine de ces entrepreneurs russes qui ont -malencontreusement-jeté leur dévolu sur des biens situés dans nos « Etats de droit » devraient nous alerter sur l’effacement de nos libertés.

Confisquer et contraindre

On connaît la jubilation des journalistes de la presse officielle lorsqu’ils se paient un capitaine d’industrie. Alors lorsqu’il est milliardaire et russe, de surcroit en pleine Ukromanie, on découvre que tout est permis en termes de confiscation et de spoliation ; que les droits de la défense sont un luxe réservés aux gens qui pensent « comme il faut ».

On apprend qu’il est possible de « geler » des biens sous le prétexte qu’ils appartiennent à des gens qui auraient une proximité avec Vladimir Poutine. Si le titre de propriété n’est pas formellement retiré, l’entrave à la jouissance est telle qu’il ne reste plus au propriétaire que la charge de l’entretien du bien… et des taxes afférentes.

Cette procédure est-elle légale ? Sur quelle disposition repose-telle ?

A plus long terme, quelles sont les conséquences d’une telle expropriation de biens privés, pour ne pas parler de « nationalisation » ? Quel milliardaire voudra encore investir dans une villa sur la Côte d’Azur ou un hôtel particulier à Londres ? Quelle fortune non-occidentale prendrait encore le risque d’investir dans un club de football ou dans tout autre activité?

Tout ceci devrait mettre en garde les propriétaires que nous sommes tous. Nul besoin d’être milliardaire pour se faire déposséder de ses biens qui sont autant de marqueurs de nos libertés. Le message envoyé aux plus riches est clair. Nous entrons progressivement dans une ère d’hyper-contrôle social. Les technologies actuelles permettent progressivement d’entraver les faits et gestes même pour les moins riches.

Aujourd’hui, s’adonnant sans vergogne à un délit de sale gueule, à vrai dire de sale russe, nos démocraties s’en prennent au patrimoine d’un Roman Abramowitch sous prétexte que sa conduite ne collerait pas avec les objectifs stratégiques établis par le clan Biden et ceux de l’UE qui suit ce dernier presque comme un seul homme.

Aujourd’hui déjà, votre voiture et votre liberté de circuler sont envoyées à la casse par une classe politique « climatiquement éveillée » qui a décidé à votre place quels carburants vous utiliserez. N’oublions pas que les mêmes nous ont tous appauvris en distribuant des primes pour promouvoir le diesel !

Faut-il rappeler le tout récent épisode de la pandémie où les normes sanitaires les plus contraignantes ont fleuri pour le plus grand bonheur d’une clique de fonctionnaires et d’une poignée de compagnies pharmaceutiques ?

En tout état de cause, lorsque Biden nous affirme que l’Ukraine inaugure une longue bataille qui opposera « le monde libre et démocratique » à la Russie, il devient impératif de se demander ce que recouvrent les termes de « liberté » et de « démocratie ».

Dans ce sens, on ne peut qu’inviter les autorités polonaises à méditer sur les sanctions imposées par l’UE sous prétexte que la Pologne sort du cadre idéologique de ce qu’elle définit comme étant l’ « Etat de droit ». Oui, le contrôle social exercé par l’UE sous forme de sanctions frappe aussi les Etats, comme l’illustre le V4. Oui, cela fait furieusement penser aux moyens de pression exercés sur les oligarques. Quant au peuple ukrainien, il devrait s’interroger sérieusement sur le prix que son président lui fera payer pour finir par intégrer le club des pays à la remorque du « monde libre et démocratique ».

Si plus lucidement, les Ukrainiens réalisaient qu’il s’agit de choisir entre deux aliénations, il n’est pas exclu que sur les plans éthique et culturel ils se sentent plus proches de la Russie que de la vieille Europe rattrapée par ses délires wokistes. Toutefois, après la flambée de violences, il leur faudra de nombreuses années avant d’en prendre conscience… si cela arrive jamais. A vrai dire, cela n’est pas notre problème.

En ces temps où la disette pointe le bout de son nez, notre seule préoccupation de contribuables du « monde libre et démocratique » devrait être de préserver le contenu nos libertés et le respect dû à notre droit de propriété plutôt que de cultiver la russophobie et la richophobie.

Tatiana Hachimi