Dédollarisation: Et si la course du dollar s’arrêtait à Saint-Pétersbourg ?

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La Russie dédollarise son économie
La Russie dédollarise son économie, Image par Tumisu de Pixabay

Alors que l’Occident s’enferme dans une entreprise de séduction des minorités électorales agissantes sans précédent, la Russie pose les jalons de son émancipation économique par le biais de la dédollarisation de sa politique monétaire.

Saint-Pétersbourg, l’autre forum économique

La planète économie gravite autour de Davos. Il ne faudrait pourtant pas minimiser Saint-Pétersbourg qui abrite un forum économique international alternatif depuis 1997. Au cours de la dernière édition qui s’est tenue du 2 au 5 juin dernier, la Russie a fait une annonce majeure sur le plan monétaire: fin juin 2021, le fond souverain russe se sera débarrassé de la totalité de ses actifs en dollars qui s’élèvent à 40 milliards pour laisser place à des euros, des yuans, de l’or, des yens et des livres sterling.

Dans le même sens, dans un entretien avec son homologue autrichien Sebastian Kurz, Vladimir Poutine invite ses partenaires à régler leurs factures d’achat de gaz et de pétrole en monnaies « régionales » comme l’euro, par exemple. Pas de doute, la dédollarisation de l’économie mondiale est en marche et la Russie en sera un acteur majeur. Si ce tournant peut revêtir un élément politique à l’adresse des USA, il ne manquera pas d’avoir des conséquences monétaires à l’échelle de la planète. Si d’autres membres des BRICS suivent, on pourra certainement situer le 3 juin 2021 comme un jour qui fera date dans l’histoire monétaire mondiale !

Voilà la réponse du berger russe, systématiquement ostracisé par le camp occidental, alors qu’il n’aspirait fondamentalement qu’à poursuivre son processus de ‘désoviétisation’ et, parallèlement, de démocratisation pour nouer un partenariat stratégique avec l’Europe (fondé sur des valeurs communes incontestables) à la bergère américaine. Injustement diabolisé par les média occidentaux et en particulier européens pour ses positions prétendument conservatrices et son attitude de vilain “bon père de famille”, Vladimir Poutine apparaîtra pourtant rétrospectivement comme le dirigeant russe le plus europhile… Une occasion gâchée, qui ne se représentera pas de sitôt.   

Saint-Pétersbourg, là où le dollar a peut-être perdu sa suprématie ce 3 juin 2021, Image par Georg Adler de Pixabay .

Dans un monde qui s’achemine clairement vers une multipolarisation, où l’immense Chine prend progressivement la place qui lui revient, les Etats-Unis ne sont jamais parvenus à sortir de la logique de confrontation qui les opposait à la Russie dans le duopole qu’ils formaient avec elle. Que penser des 2000 milliards de dollars engloutis par les Américains dans le bourbier irakien, dont l’unique but était de concurrencer les Russes et dont la seule conséquence tangible restera la facilitation de la création de l’Etat Islamique (EI)? Et que dire du prologue en Afghanistan sans remonter jusqu’au Vietnam ? Quel aurait été notre quotidien, à l’échelle de la planète, si toutes ces ressources, au lieu d’être gaspillées avaient été mobilisées pour le bien de la population américaine ? La bonne gouvernance n’est pas qu’une formule creuse. C’est un axe structurant de l’Histoire.

Cette adversité qui anime le bloc occidental pourrait bien trouver dans le changement climatique un nouveau terrain où exprimer ses velléités belliqueuses dans cette espèce de course à l’échalote . Nos social-démocraties qui s’appuient sur la séduction d’électorats ultra-minoritaires et fanatisés sont sur le point d’implémenter des politiques énergétiques suicidaires. Ces décisions irréfléchies, portées par des groupuscules sectaires, ont été adoptées et entrent désormais progressivement en application selon un calendrier qui s’accélère dangereusement.

Bonne gouvernance ou course à l’échalote?

La classe moyenne, grande oubliée des démocraties libérales où le jeu politique se gagne à la marge, avec le concours des électeurs les plus fanatisés, réalise – sans trop y croire – que sa survie est en jeu. Quand la grande masse des Européens sera entravée dans sa mobilité, quand elle devra multiplier par deux, trois ou plus le prix de l’électricité, l’Europe sera en proie à de grands troubles sociaux. Il ne faudra pas blâmer les Russes ni les Chinois. Ce sera le seul fait des délires éco-solidaires. « How dare you ?! » Ca vous revient ?

Ces dogmes semblent anecdotiques. Pourtant, ce sont eux qui vont déterminer où ira une bonne part de l’argent qui sera distribué dans le cadre du Green Deal décidé par la Commission. S’il y a certainement de grands projets à mener pour œuvrer à l’équilibre de la planète, aujourd’hui, plus que jamais, les Occidentaux, et les Européens plus particulièrement, doivent se garder d’investir dans des chimères. Ce n’est pas en engraissant les fortunes de spécialistes de l’effet d’aubaine comme Elon Musk et le club des GAFAM que nous parviendrons à avancer sur le plan technologique. Par ailleurs, au niveau économique, vu notre niveau d’endettement, il s’agit de notre ultime cartouche. Il est impensable de la gaspiller.

Nos industriels devront montrer l’étendue de leur abnégation et et de leur ingéniosité pour ne pas nous précipiter vers notre déclin, voire notre disparition industrielle, en ayant le courage de refuser des subsides, des subventions ou des gains faciles qui à terme risquent de se révéler des gouffres financiers doublés d’impasses industrielles. La voiture électrique, l’éolien, l’hydrogène sont des technologies qui à l’heure actuelle posent plus de questions qu’elles n’apportent de solutions à des problèmes (qui ne se posent peut-être même pas dans les termes débattus sur le plan politiques). 

Jamais le monde n’a été aussi instable sur le plan géopolitique, ni aussi perturbé économiquement depuis la seconde guerre mondiale. Voici qu’il entre aussi en grande instabilité monétaire. La Russie a décidé de prendre son sort en main. Il serait bon que l’Europe aussi se ressaisisse sérieusement, en abandonnant les utopies qu’elle cultive pour se donner l’illusion d’être démocratique alors qu’elle méprise depuis plus de cinquante ans les besoins élémentaires de la majorité de sa population.

Au lendemain d’une crise sanitaire qui n’a pas dit son dernier mot, certains dirigeants tentent d’offrir un destin souverain à leur peuple en agissant sur les paramètres de la mondialisation quand d’autres se complaisent dans un rapport de séduction, pour ne pas dire de racolage de leur population. Les démocraties “illibérales” ont une échelle de temps long. Quant à nos démocraties dites libérales (dont aura tout de même pu apprécier les aspects les plus illibéraux  à travers la gestion ubuesque de la crise sanitaire), elles pourraient bien souffrir d’un courtermisme de nature à orienter leurs choix stratégiques vers des gadgets et des solutions à l’emporte-pièces. Que ce soit sur le plan industriel, ou monétaire.

Tatiana Hachimi