Crypto-monnaies : un nouvel eldorado fiscal ?

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Elles portent des noms étranges que l’on penserait sortis du film ‘Matrix’ ou de la série des ‘Avengers’ et s’échangent en pair-à-pair, sur le coin d’une table anonyme d’un McDo ou Quick, entre les PC branchés de deux geeks désireux de gonfler leur ‘wallet’ virtuel. Qu’il s’agisse du ‘Bitcoin’, du ‘Litecoin’ ou encore du ‘Monero’, les crypto-monnaies ont permis parfois à certains ‘boursicoteurs’ avisés et visionnaires de se constituer un joli petit pactole financier sans trop d’effort. Qu’on songe qu’à ce jour, une unité Bitcoin s’échange à près de € (EUR) 9.000,00.-.

Pas mal pour un truc vaguement virtuel.

Pas étonnant non plus, dès lors, que les autorités publiques européennes et nationales tentent de les contrôler, à défaut de pouvoir les interdire ou juguler complètement (le projet de monnaie virtuelle ‘Libra’, initié à l’origine par Facebook, et qui est censé se concrétiser d’ici à la fin de l’année 2020, suscite son lot d’inquiétudes chez nombre de gouvernements et régulateurs, affolés à l’idée de voir leur souveraineté monétaire s’étioler davantage).

Sur le plan législatif, au niveau européen, cette tentative de contrôle prend la forme d’une législation visant tantôt à « lutter contre la fraude et la contrefaçon des moyens de paiement autres que les espèces » (CF. à cet égard, la Directive U.E. 2019/713 du 17 avril 2019), tantôt à « prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme » (cf. Directive U.E. 2018/843 du 30 mai 2018).

Le Royaume de Belgique n’est pas en reste, puisqu’il a adopté, le 18 décembre 2016, la Loi « organisant la reconnaissance et l’encadrement du crowdfunding».

Pas surprenant, enfin, que les autorités fiscales et judiciaires, européennes ou belges, se saisissent ou soient saisies de cette question. Ainsi, dans un arrêt du 22 octobre 2015, la Cour de Justice européenne a jugé, dans un arrêt relativement succinct, que constituent des prestations de services effectuées à titre onéreux (au sens de l’article 2, §1er, sous c), de la Directive TVA 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006) des opérations, « qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle ‘Bitcoin’, et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients », mais que ces opérations sont exonérées de la TVA.

Au niveau belge, le Service des Décisions Anticipées (S.D.A.) a quant à lui conclu, dans une décision du 24 septembre 2019, que les plus-values réalisées par le contribuable, un architecte d’intérieur, sur ses crypto-monnaies n’étaient pas, en l’espèce, des revenus professionnels imposables et étaient la conséquence d’opérations rentrant dans le cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé. La conclusion du S.D.A. doit toutefois être prise avec des pincettes et ne peut être généralisée; elle se justifie – comme presque toujours en droit – par les spécificités du cas d’espèce.

En l’occurrence, le contribuable détenait depuis près de six ans ses crypto-monnaies (sa stratégie d’investissement s’inscrivait donc dans le long terme) et il n’avait procédé qu’à trois achats. De plus, il n’apparaît pas qu’il ait eu recours à des avis professionnels ou des moyens ‘sophistiqués’ pour effectuer ces transactions, réalisées depuis son épargne personnelle (il n’y a donc pas eu recours à un emprunt). Bref, il présentait les caractéristiques assez communes de l’investisseur lambda.

Si les décisions de la Cour de Justice et du S.D.A. sont favorables aux contribuables, la prudence doit néanmoins rester de mise. La matière des crypto-monnaies (mais aussi, notamment, des blockchains) est encore en friche et connaîtra à l’avenir des développements nombreux. Il n’est dès lors pas certain qu’elles restent encore longtemps dans une forme de ‘no-man’s-land’ juridique….

Gaëtan Zeyen