Comment les économistes ont foiré

1008
Vue de Chicago
Vue de Chigaco.

Critique du livre Where economics went wrong de David Colander et Craig Freedman.

Dur dur d’être libéral par les temps qui courent. Depuis le début de la crise du coronavirus, les étatistes de tous bords font le procès de l’économie de marché. Et malheureusement, leurs prêches anticapitalistes trouvent un écho favorable auprès des décideurs et de l’opinion publique. À tel point que le contrôle des prix, qu’on croyait définitivement enterré depuis la chute de l’URSS, fait son grand retour en Europe, par la France. Chez nos amis d’outre-Quiévrain, les prix du gel hydroalcooliques et des masques sont plafonnés par décret. Comme aurait pu le prévoir n’importe quel quidam pourvu d’une éducation économique minimale, ces mesures bien intentionnées ont rendu ces produits quasiment introuvables dans les rayons des pharmacies et des supermarchés. Malgré l’exemple piteux de la France, Test-Achats réclame néanmoins des politiques similaires pour la Belgique. À croire que la science économique n’est porteuse d’aucun enseignement !

Pourtant, dans les années 50, l’économiste Milton Friedman osait prédire un futur où les débats économiques seraient rendus obsolètes par les avancées d’une science économique positive. Le salaire minimum, pensait-il, irait rejoindre le créationnisme et le géocentrisme au musée des idées définitivement discréditées par la science. Plus d’un demi-siècle plus tard, il n’en est rien. Que s’est-il passé ?

À la recherche de la méthodologie « libérale-classique »

Dans Where economics went wrong, sous-titré Chicago’s abandonment of classical liberalism, les économistes David Colander et Craig Freedman dénoncent l’illusion d’une science économique positive qui réglerait « scientifiquement » les questions de politique publique. Les deux économistes appellent leur profession à redécouvrir la méthodologie « libérale-classique », pour éviter les écueils positivistes de l’école de Chicago (dont Milton Friedman fut le représentant le plus brillant) et de ses contradicteurs néo-keynésiens. Mais en quoi consiste exactement cette méthodologie que partageraient des figures aussi diverses qu’Adam Smith, John Stuart Mill, Alfred Marshall, et même Maynard Keynes ?

C’est la plus grande faiblesse du livre (après les répétitions – énervantes au possible) : les auteurs excellent dans la dénonciation – de la confusion entre science descriptive et jugement normatif, de l’usage abusif du formalisme mathématique, de l’entre-soi confortable des économistes, de leur désintérêt pour l’Histoire et les institutions, etc. – mais échouent dans les derniers chapitres à montrer une voie de sortie. À en croire David Colander et Craig Freedman, cette « méthodologie libérale-classique » – dont l’invocation révérencieuse ponctue la lecture du livre – ne serait pas un ensemble de règles fixes qu’il suffirait de suivre. Ce serait plutôt une « attitude » discursive toute en nuance, une disposition au débat « for the sake of heaven » – encore une expression devenue irritante à force d’être martelée par les auteurs. C’est joli et vaporeux comme un nu artistique en noir et blanc de David Lynch. On aurait préféré des recommandations plus musclées, car le débat ouvert et respectueux que David Colander et Craig Freedman appellent de leurs vœux n’aura pas lieu sans bousculer les règles et les institutions qui encadrent les sciences économiques.

Malgré ses défauts, Where economics went wrong mérite d’être lu. À l’heure où il faut affronter une pandémie et la première dépression d’ampleur mondiale de l’Histoire, les décideurs publics feraient bien de méditer les avertissements contenus dans ce livre au lieu de se réfugier derrières les experts et leurs modèles mathématiques douteux. En politique, « la science » n’a pas le dernier mot, et c’est tant mieux pour le débat démocratique.

Le livre est en anglais mais d’un niveau accessible, à condition de connaître les bases de la culture économique.

Nicola Tournay