Budget wallon : le bateau ivre

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Déjà en décembre 2019, suite à la publication de son budget 2020, le Parlement Wallon s’est fait retoquer par la Cour des comptes pour être sorti de son périmètre comptable en présentant un budget jugé fragile. Il faut dire qu’on voit les choses en grand visiblement chez nos élus wallons. La Wallonie, pourtant première région après l’Angleterre à bénéficier du souffle de la révolution industrielle pour son décollage économique dès les années 1780, va de nouveau piloter à sa glorieuse destinée tout en assumant crescendo son autonomie et son autofinancement. Il est en effet question ici d’une diminution des transferts Nord-Sud avec un plan ambitieux qui prétend s’inscrire dans une trajectoire de retour à l’équilibre en 2024.

Pourtant, déjà en 2017, le professeur Alain Siaens, dans une carte libre, avait jeté un pavé dans la mare en évoquant un scénario grec et en fustigeant le manque de vision à long terme des élus wallons (enfin, des élus de gauche surtout), préférant cacher la poussière sous le tapis et boire à toutes les sources de financement plutôt qu’évoquer une refonte complète de la structure économique. D’autant qu’en Wallonie, on prône toujours la pension par répartition car elle reposerait sur une prétendue solidarité alors qu’elle neutralise les différences antagoniques entre effort et oisiveté, entre frugalité et prodigalité.

Morceaux choisis :

« La sixième réforme de l’Etat attribue aux régions des compétences supplémentaires et leur financement corrélatif. Au bout de 10 ans, les moyens financiers de la région wallonne devraient s’aligner sur sa part dans les recettes publiques. Or la Wallonie, dont la population avoisine 32 % du total belge, « consomme » davantage (chômage supérieur, etc.), alors que sa part dans la production et l’emploi du secteur marchand n’atteint pas 26 %. Après réduction du transfert Nord-Sud comment la Wallonie va-t-elle financer 32 avec 26 ? »

«  La dette publique wallonne (sa dette propre et sa part de la dette belge égale à sa population relative) atteint 184 % du PIB wallon. C’est un ratio grec et ce, avant même que les moyens ristournés par l’Etat fédéral ne se réduisent. Pendant des années, pour embellir les statistiques, on a occulté des éléments de cette dette en débudgétisant des dépenses : en faisant s’endetter des « bidules » ad hoc (Sofico, etc.) avec garanties, participations dans des intercommunales (25 000 employés contre 9 900 en Flandre), du leasing dans les sociétés de logement. Des intercommunales extraient des consommateurs de gaz et d’électricité une rente de monopole, redéployée dans une nébuleuse tentaculaire de sociétés privées achetées même à l’étranger, sources de prébendes, et ayant peu à voir avec un service public. » – Alain Siaens

En résumé, on est très loin du tout-au-marché, de l’ultralibéralisme et du turbocapitalisme mangeurs de petits enfants et de chatons mignons.

Dans la liste des économistes chevronnés et fiables, nous rappelons au lecteur que le Gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, Pierre Wunsch, dans une récente interview donnée à l’UC Louvain, a souligné l’inquiétante route de la servitude que la Wallonie emprunte avec un ratio dépenses/PIB de l’ordre de 70% selon son estimation tout à fait crédible. Il a d’ailleurs été fustigé par Elio di Rupo et sa clique de mignons au PS pour avoir « dérapé » de la sorte, en vérité pour avoir mis les Wallons face au mur de la réalité. Il n’y a que la vérité qui blesse. Mais chez nos élus de gauche, il est préférable d’enfumer le contribuable, de maquiller les chiffres et de nier la structure ontologique de la réalité. C’est une constante chez eux.

Mais dans l’intervalle, nous avons été frappés de plein fouet par la crise du covid-19 et son confinement subséquent, ce qui a impliqué temporairement une forte baisse de l’activité économique et donc un quasi-assèchement des recettes fiscales, alors que le paiement des salaires de la pléthorique fonction publique wallonne était toujours assumé. Alors, comment s’est passé le conclave budgétaire du week-end dernier ? Le constat est accablant et le trou abyssal: il faut 1,1 milliard en plus. Nos valeureux dirigeants propose donc d’emprunter 1,4 milliards d’euros supplémentaires, toutes choses étant égales par ailleurs, c.à.d. sur base du budget douteux concocté par nos élus et retoqué par la Cour des comptes tel que mentionné plus haut. Mais pourquoi 300 millions en plus ? Parce que cela représente le coût de la dette à l’horizon 2024. On en est au point où il faut emprunter pour rembourser les intérêts. J’espère que le lecteur commence à comprendre l’étendue du problème ou, plus exactement, l’impasse dans laquelle les Wallons se retrouvent.

Il n’est malheureusement pas question de réduire les dépenses et le train de vie somptuaire de nos élus et de leurs administrations. On va donc emprunter sur les marchés financiers et taper au robinet d’autres prêteurs institutionnels tels que le Conseil de l’Europe ou la Banque Européenne d’Investissement. Il est vrai que les conditions d’emprunt sont particulièrement avantageuses en ce moment en raison de la politique monétaire ultra-accommodante de la Banque Centrale Européenne. Mais qu’en est-il de la capacité de remboursement du débiteur wallon avec un niveau de solvabilité aussi lamentable et en l’absence de réformes économiques sérieuses? On peut s’attendre à ce que les prêteurs demandent des garanties, que ce soit via des réformes structurelles ou encore via un nantissement des actifs tels que les livrets d’épargne et la propriété immobilière. La 2ème option est certainement plus facile et plus séduisante, d’autant plus que le slogan populiste « les riches doivent payer » trouvera indubitablement un écho favorable en Wallonie quasi-communiste. A ce niveau de collectivisme, tout est possible.

Mais une chose sûre, c’est que la décennie 2020 qui a commencé sur les chapeaux de roue, se terminera en eau de boudin (ou devant la porte austère du Fonds Monétaire International pour un ultime plan de sauvetage). Quoiqu’il en soit, l’objectivité nous commande la plus grande méfiance, voire le pessimisme. On peut dès lors comprendre que le PS, maintenant acculé, peut envisager de gouverner avec la NVA.

Jules Alove