Dans « Le vrai état de la France » (L’Observatoire), Agnès Verdier-Moliné dresse un bilan économique sévère du quinquennat Macron… Talon d’Achille du président-candidat ? Pour le moment, ses adversaires, notamment Valérie Pécresse, ne semblent pas vraiment s’emparer du sujet.
On ne présente plus Agnès Verdier-Moliné de l’Ifrap, sorte de spécialiste es-déclassement économique. L’essayiste, qu’on place du côté de la droite libérale et donc peu soupçonnable de soutenir Zemmour ou Le Pen, remet le couvert dans son dernier livre. Même si certains des tristes constats qu’elle pose sont parfois bien antérieurs à l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, on peut dire qu’il n’a pas réussi à inverser la tendance.
Déficit commercial et impôts en pagaille
Emmanuel Macron a certes hérité d’une balance commerciale en berne. Mais elle ne s’est pas redressée sous son mandat : en 2021, le déficit commercial de la France a atteint un niveau record de -84,7 milliards €. Avec la zone euro, le déficit est d’environ 35 milliards ; avec la Chine il est d’environ 30 milliards €.
L’ISF, censé « taxer les riches », les a plutôt poussés à s’expatrier (sur ce point, on peut rejoindre Macron qui a supprimé sa partie financière). Deux millions et demi de Français vivent hors de France. Depuis la création de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF) en 1982, plus de 150 milliards € ont quitté la France avec leurs propriétaires. On estime qu’à cause de cela, environ 400.000 emplois directs n’ont pas été créés en France. En parallèle, les Français croulent sous les taxes, impôts et cotisations diverses. « En 2019, note AVM, on comptait en France 483 prélèvements obligatoires : 214 impôts, 159 taxes et 110 cotisations. Rien qu’en 2019, cinq nouvelles taxes ont été créées (taxe additionnelle à la taxe de séjour en Ile de France pour financer le Grand Paris, taxe sur les hydrocarbures, redevance pour les concessions hydroélectriques, contribution sur les sources d’eaux minérales et taxe de balayage). La France a 196 impôts et catégories d’impôts, soit plus du double que l’Allemagne (84) et le Royaume- Uni (86). » Le Code général des impôts, compte 3.600 pages. Des chiffres qui donnent le tournis…
La France reste fin 2021 taxée de l’ordre de 140 milliards de plus que ses homologues de la zone euro. Les impôts directs des ménages sont passés de 250 milliards en 2017 à 275 milliards en 2019, soit une augmentation de 25 milliards d’euros en deux ans. « On cherche en vain la baisse de cinq milliards d’euros affichée par le gouvernement », pointe AVM soulignant une série de taxes de production : CVAE, CET, IFER, taxes transports, C3S. «Ce sont 80 milliards de plus payés tous les ans par les entreprises françaises par rapport à leurs homologues de la zone euro. La France est, avec la Grèce, le pays de la zone euro qui a la fiscalité la plus importante sur les entreprises par rapport à sa valeur ajoutée. »
La France emprunte 1 milliard par jour
En 2022, la dette de la France représente 44 000 € par Français (c’était 20 000 € en 2012 !).
« Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la dette de la France avait grimpé de plus de 600 milliards, sous François Hollande de presque 400, mais sous Emmanuel Macron, la hausse, à la fin de cette année 2022, sera d’environ 700 milliards € ! » L’Allemagne est bien loin derrière la France – malgré une crise sanitaire identique – avec 518,5 milliards € de dette publique en plus entre 2017 et 2022.
La France affiche 112% de dette exprimée en PIB alors que le gouvernement avait promis de ne pas dépasser les 100%. « C’est incroyable, car, quand on extrapolait les programmes des candidats pour 2017, c’était plutôt les programmes de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon qui nous faisaient tutoyer les 3 000 milliards de dettes en 2022. Nous allons donc continuer à emprunter quasiment un milliard d’euros par jour dans les prochaines années. »
Or cette dette est une dette de fonctionnement pur, pas une dette permettant d’investir sur l’avenir. Si l’on ajoute tous les engagements « hors bilan », on est plutôt à presque 8 000 milliards € de dette pour la France, calcule AVM. Circonstance aggravante : la moitié de la dette française est détenue par des non-résidents. Le secteur privé est également très endetté, de l’ordre de 156% du PIB au dernier trimestre 2020. « Le cumul de la dette privée et de la dette publique atteint 270 % du PIB. Ce qui place la France juste derrière la Grèce (330 % du PIB) et le Portugal mais très loin devant l’Allemagne (179 % du PIB). »
Un déficit record et une croissance en trompe-l’œil
L’année 2020 marque le pire déficit que la France ait jamais connu : 209 milliards € pour les comptes publics : – 9,1 % du PIB en 2020 et encore – 8,2 % du PIB en 2021. En 2020, année de pandémie Covid-19, les déficits publics ont été en moyenne en Europe de 7,2 %. La France se classe maintenant clairement parmi les mauvais élèves du Sud de l’Europe, car l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède sont tous, même en 2020, en dessous de 5 % de déficit par rapport à leur richesse nationale. En 2021, les dépenses de fonctionnement ont même augmenté de 48 milliards par rapport à 2020.
« Le « quoi qu’il en coûte » de Macron dope l’addiction de la France à la dépense publique », écrit AVM. La croissance économique de 7% en 2021 (INSEE) vient pour presque un tiers des dépenses des administrations publiques. « L’effet rebond tant vanté [par le gouvernement] est donc largement dû à la relance par la dépense du secteur public. »
Longtemps à 57% de dépenses publiques par rapport au PIB, ce qui était déjà préoccupant, la France atteint 60 % en 2021 (moyenne UE : 53%). « Même avant crise, la promesse présidentielle n’était pas honorée car, en 2019, les dépenses publiques représentaient toujours 55,4 % du PIB. Si les réformes avaient été menées entre 2017 et 2019, la France serait entrée beaucoup plus forte dans la crise. Les dépenses d’investissement de ce quinquennat sont très faibles. »
Une bureaucratie toujours plus lourde
Les dépenses de personnel du secteur public auront dérivé de plus de 20 milliards en cinq ans entre 2017 et 2022. « Cette augmentation est clairement une conséquence de l’abandon par le président de la République de son objectif de baisse de 120 000 postes publics. L’Insee anticipe même sur le quinquennat, non pas une baisse de 120 000 postes d’agents publics, mais une hausse de 120 000 postes avec un record de 5,8 millions d’agents. » Rien que sur les rémunérations de l’État, y compris les pensions, avec 137 milliards de dépenses, c’est 10,3 milliards en plus depuis 2017. « Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la masse salariale de l’Etat hors pensions avait augmenté à champ constant de 2,5 milliards. Pendant le quinquennat de François Hollande, elle avait augmenté de 5,3 milliards d’euros. À comparer aux + 7,6 milliards d’eu hors pensions sous Macron entre 2017 et 2022. » Ce quinquennat sera le plus cher de tous en augmentation du coût des personnels publics, estime AVM : entre 20 milliards et 30 milliards € en plus en cinq ans, un record.
23e en PIB/habitant
Tout d’abord, le décrochage économique de la France est documenté. Son PIB/habitant, de 39.030 €, la place aujourd’hui au 23e rang mondial, loin derrière la Suisse (2e – 87.000 €) et l’Allemagne (16e – 46.208 €).
Lien de cause à effet ? La France est avec la Suède le pays européen où l’on travaille le moins : le taux d’emploi des 15-24 ans est de plus de 48,5 % en Allemagne alors qu’il n’atteint que 31,2 % en France qui affiche un écart de 166 heures par an et par salarié de moins que la moyenne européenne.
Bruno Lemaire soulignait récemment les bons chiffres de chômage (8,1%) mais la moyenne européenne est meilleure (7,3%). L’Allemagne et les Pays-Bas font deux fois mieux : respectivement 4,2 et 4,3 %.
L’industrie en déclin
Depuis les années 80, affirme AVM, la France a détruit plus de deux millions d’emplois dans l’industrie et 58.000 emplois depuis le début des années 2000. « Le secteur industriel français comptait 5,5 millions d’emplois salariés en 1980, il n’en comptait plus que 3,2 en 2017 et 3,1 millions en 2021 (contre 7,2 millions en Allemagne). » AVM conclut : « Nous n’avons pas une croissance folle, nous récupérons juste d’une récession de près de 8% du PIB. Oui, le « quoi qu’il en coûte » et son immense guichet façon open bar vont nous couter très cher. La France ne doit plus être ce tonneau des Danaïdes financé par les aides sociales (et donc la dette). »
« Si la France était dans la moyenne de la zone euro, elle taxerait pour 155 milliards de moins les Français et leurs entreprises, et elle compterait 262 milliards de dépenses publiques en moins. ». En cette fin de campagne présidentielle, l’ouvrage d’Agnès Verdier -Moliné est là pour nous rappeler cruellement que le déclin n’est pas une fatalité mais la résultante de choix éminemment politiques.
Nicolas de Pape