Après son 13e Roland-Garros, Nadal prend une option sur le GOAT (analyse)

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Tennis,
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Une analyse de Nicolas de Pape.

Lorsque Raphaël Nadal se présente à la Porte d’Auteuil, il n’est désormais plus nécessaire d’organiser le tournoi. Autant lui donner le trophée directement. L’Espagnol tue le suspense depuis 15 ans, à quelques exceptions près. Sublime ou navrant ? Quoi qu’il en soit, le futur GOAT (Greatest of all time) pourrait bien être lui et pas Djokovic.

100 victoires sur 103 matches disputés à Roland-Garros. C’est le bilan stratosphérique de Raphaël Nadal.

Seuls deux joueurs l’ont battu sur le Philippe Chatrier : Robin Söderling en 2009 (mais Nadal avait apparemment une angine, selon Jo-Wilfried Tsonga) et Novak Djokovic en 2015 (Nadal était à l’ombre de lui-même et Djoko dominait totalement le tennis mondial). En 2016, Nadal avait dû déclarer forfait pour un problème de poignet, ouvrant la porte à l’unique victoire de Djokovic.

Personne dans l’histoire du tennis n’a gagné le même tournoi autant de fois et surtout pas un Grand Chelem (GC). Même si le tennis continue de passionner les foules pendant deux siècles, il y peu de chance qu’un autre joueur réussisse cet exploit.

Roger Federer compte certes 8 victoires à Wimbledon dont 5 de suite mais il y a été battu trois fois en finale par Novak Djokovic (2014, 2015 et 2019), une fois par Raphaël Nadal (2008) et aussi par Kevin Anderson en quart (2018) ainsi que par Berdych, Tsonga et Raonic. Novak Djokovic compte, de même, 8 victoires à l’Open d’Australie mais il y a été humilié en 2017 par le 117e mondial, Denis Istomin, et au 4e tour en 2018 par Chung Hyeong.

Leur domination sur leurs prés carrés respectifs, l’herbe et le dur, n’est donc pas comparable aux 13 victoires de Nadal sur terre.

Victoire amère pour le suspens

Maintenant, outre l’admiration qu’on peut avoir pour le « Taureau de Manacor », sa domination sur Roland-Garros a quelque chose d’amer. Ce n’est pas lui faire offense que de dire qu’il tue le suspens. C’est bien simple, fort d’une belle saison de préparation sur terre, détenteur d’une seule victoire préalable (Rome, 2019) ou arrivant à Paris sans aucun repère (avec des balles qu’il n’affectionne pas, une surface humide, une température automnale), c’est le même tarif : triomphe sans fioritures.

Sa victoire cette année est même une des plus nettes de son prodigieux parcours à « Roland » à l’exception de la fessée donnée en finale à Roger Federer en 2008 (6-1/6-3/6-0 en 1 h 48). Car la bulle qui a frappé Novak Djokovic a tout de même duré 45 minutes et le match environ 2 h 45. Le score (6-0/6-2/7-5) ne reflète pas l’intensité des échanges. Dans le troisième set, Djokovic a eu une vraie chance d’inverser la vapeur…

Novak Djokovic, donné favori par la moitié des commentateurs et par son très arrogant coach Goran Ivanisevic, était considéré comme le seul sur Terre pouvant battre Nadal.

Or il a pesé bien moins lourd que Dominique Thiem l’an passé en finale (un set perdu) ou même Jannik Sinner en quart cette année (le jeune Italien servant pour le premier set et finalement battu au tie-break) ou Diego Schwartzman, auteur d’une performance plus digne en demie poussant également Nadal au tie-break au 3e set.

Comment expliquer cette exécution en règle de Novak Djokovic que personne n’avait vu venir ?

  1. Nadal craint Djokovic. Il avait parlé avant la finale de « son adversaire le plus dur imaginable ». Avec l’humilité comme marque de fabrique, Nadal s’est persuadé qu’il devait jouer le match parfait. Il a parfaitement maintenu la tête de Djoko sous l’eau pendant deux sets. Au troisième set, ayant légèrement baissé de niveau, il a toutefois éteint toute velléité de rébellion du Serbe. Sentant le danger à 4-5, il s’est hissé à 6-5 profitant d’une double faute de Djokovic sur balle de break. Nadal a gagné le tournoi sur un ace et un service blanc, face au meilleur retourneur de l’histoire. Tout un symbole.
  2. Djokovic était extrêmement tendu. Son teint était celui d’un spectre. Il n’a pas été prolixe en conférence de presse, se contentant de dire qu’il avait été totalement dominé (« overplayed »). Certes, Nadal fut sans pitié. Mais l’Espagnol eut en face de lui une sorte d’ectoplasme qui ne put jamais se libérer. Pépin physique ? Dépassé par l’enjeu historique ? Il est fort à parier que la course au GOAT a pesé sur les épaules de Novak. Soit, passer à 18 grands chelems (GC) et se rapprocher des 19 GC de Nadal et les 20 de Federer, soit rester « bloqué » à 17 contre 20-20. Un fossé de 3 unités tout à coup très profond à combler, étant donné les velléités de Dominique Thiem et bientôt peut-être de Stefanos Tsitsipas de partager le gâteau.
  3. Comme l’avait prédit, tempore non suspecto, Mats Wilander vendredi soir, l’incapacité de Novak Djokovic à terminer sa demi-finale contre Tsitsipas en trois petits sets (avec balle de match à 5-4 flanquant son revers long de ligne à 1 m dans le couloir), l’a entraîné dans un combat torride en 5 sets contre l’étoile montante du tennis mondial, ce qui a peut-être tué ses chances de battre Nadal. Ce dimanche, Novak paraissait en tout cas sans énergie aucune et très lent sur le cours. Malgré le toit fermé qui aurait dû lui être favorable, Djokovic n’a que peu accepté le combat physique de fond de court. Il manquait de l’essence dans le réservoir.

Mais qui sera la GOAT ?

Comme chaque fois que deux des « trois monstres » s’affrontent en finale de GC, l’histoire du tennis s’écrit puisque les trois plus grands joueurs de tous les temps continuent de jouer au plus haut niveau en même temps.

La question du GOAT masculin se pose aujourd’hui dans les termes suivants :

  • Nadal et Federer figurent au Panthéon du tennis avec chacun 20 GC (c’est la statistique que retiennent les profanes). Novak Djokovic est fortement distancé à 17 mais pourrait rapidement passer à 18 à l’Open d’Australie en janvier 2021, tournoi dont il est le tôlier (8 victoires). Pour passer devant, il lui faut encore 4 GC, ou même 5, sachant que Nadal gagnera vraisemblablement Roland-Garros en juin 2021.
  • Si le GOAT c’est être numéro 1, Novak Djokovic dépassera en mars 2021 Roger Federer en nombre de semaines en tant que premier mondial et peut remporter pour la sixième fois le Masters de Londres, égalant Federer.
  • Si on attribue le titre de GOAT au meilleur ambassadeur du tennis sur la planète, même bloqué à 20 GC, Federer reste hors-catégorie tellement il incarne la quintessence de ce sport.
  • Si on estime que les Masters 1000 sont aussi difficiles à gagner que les GC, Novak Djokovic avec 36 M1000 se situe à une unité devant Nadal et largement devant Federer. Et il est le seul des Trois Grands à avoir remporté la totalité des M1000 et même minimum deux fois !
  • Djokovic est le GOAT de la décennie avec 15 GC entre 2010 et 2019, qui plus est en compagnie de deux autres légendes et même, pendant un temps, au sein du « Big 4 ». Il est le seul à en avoir gagné 4 d’affilée (« Djoko-slam » entre 2015 et 2016).
  • Federer est toutefois resté le GOAT en nombre de GC pendant plus de 11 ans jusqu’à ce dimanche.

Le livre des records n’étant pas encore refermé, comptons encore deux ou trois ans avant de savoir qui sera exactement le GOAT. Mais Nadal, avec son monopole sur Paris, est bien parti pour être le plus grand joueur de l’histoire.

Nicolas de Pape