Soyons sérieux, il n’a jamais été question de remettre en cause de quelque manière que ce soit le droit des femmes à recourir à l’avortement en Belgique. Ceci coupe court à tout discours qui laisserait entendre que les droits des femmes seraient menacés ou en régression dans notre pays.
Notre parlement s’enflamme à nouveau depuis quelques jours autour de la proposition de loi portant sur la dépénalisation totale de l’avortement et l’allongement du délai pour pratiquer celui-ci au delà de la période de 12 semaines de conception pour l’étendre à 18 semaines.
L’avortement, une pratique bien ancrée en Belgique
Soyons de bon compte et penchons-nous sur les chiffres. Plus de 17.000 avortements sont pratiqués en moyenne chaque année dans notre pays. Ce n’est pas anodin pour ne pas dire franchement interpellant dans un pays où des moyens de contraception avec une efficacité proche de 100% sont accessibles à toutes les femmes que ce soit à travers le secteur médical ou l’important réseau des centres de planning familial. Avec de tels chiffres, on ne peut malheureusement pas nier la part « d’usage contraceptif » de la pratique.
On notera aussi que sur ces milliers de cas, aucun n’a donné lieu à des poursuites pénales. Dès lors, quel est concrètement l’intérêt de sortir l’avortement du code pénal puisque pratiqué dans le cadre légal, l’avortement n’est susceptible d’aucune poursuite. C’est une tautologie, mais il semble utile de devoir le rappeler à tout ceux qui pourraient imaginer des poursuites là où ce ne sera clairement pas le cas. Aurait-on idée de dépénaliser l’assassinat pour offrir plus de garanties à celui qui exercerait la légitime défense? Voilà pour le volet « dépénalisation ».
Concernant l’allongement de la période durant laquelle il est possible de pratiquer l’avortement, il est important de rappeler qu’en Belgique, en cas de problème médical pour la mère ou l’enfant, il est et reste possible d’interrompre la grosse à tout moment, jusqu’à son terme. Il s’agit de l’interruption médicale de grossesse (IMG). Pour les IVG, qui sortent de ce cadre médical, le législateur avait fixé une limite de douze semaines en y voyant un équilibre entre le stade de développement du foetus et le choix de la mère. Une femme a-t-elle réellement besoin de plus de trois mois pour se décider sur une telle question? Ce « confort supplémentaire pour délai de réflexion augmenté » peut-il être raisonnablement mis en balance avec les conséquences médicales d’un avortement tardif qui se transforme en une intervention lourde?
Plus compliqué encore, cet allongement de la période pour pratiquer l’avortement est une porte ouverte à l’introduction du consentement du partenaire de la candidate à l’avortement. On imagine les problèmes que pourrait susciter l’introduction de ce paramètre lié à l’égalité homme-femme. On peut même craindre que les femmes qui avaient remporté une victoire en se réappropriant leur corps à travers l’avortement ne perdent stupidement ce combat après l’introduction de l’assentiment du géniteur potentiel dans un contexte de montée en puissance d’un certain radicalisme religieux. Ce serait dommage de voir une fois de plus nos progressistes auto-proclamés nous faire faire un bond de quelques centaines d’années en arrière! Ce ne serait pas la première fois que féminisme hardcore nuirait aux femmes!
Dès lors, ceux que l’on voudrait faire passer pour de vils conservateurs ne le sont peut-être pas autant qu’il n’y paraît. Sur le fond, le statu quo n’a rien de dégradant pour les femmes. Au contraire.
L’avortement mis à l’agenda pour faciliter l’accouchement d’un gouvernement?
Vu l’importance de la question posée, qu’y a-t-il de dégradant à consulter le Conseil d’Etat? Qu’est-ce qui motive donc nos élus à s’écharper sur cette question? Pourquoi un tel empressement sur une question qui ne faisait plus débat depuis des années?
Si d’un côté, celui de la NVA, du Vlaams Belang, du CD&V et du CDH on peut concevoir que l’attachement au maintien des conditions actuelles corresponde à un cap sur le plan moral et éthique, l’acharnement du camp « progressiste » s’apparente plus à une manipulation politique, à une sorte de coup de poker avec instrumentalisation du cordon sanitaire. Ce dernier, le plus malsain des outils qui fait figure de colonne vertébrale pour la vie politique du pays, à force d’être brandi à tout bout de champ, finit par perdre de sa substance, à se démonétiser, à l’image du point Godwin.
Le front du statu quo formé par qui a résisté à l’opprobre liée à la rupture du cordon sanitaire prouve surtout qu’en Belgique, il existe encore trois partis pour lesquels l’éthique et les valeurs passent avant les petits jeux politiques.
Cette nouvelle ligne de fracture ne sera pas sans conséquence sur la formation du futur gouvernement. Ceux qui imaginaient tirer profit de l’avortement risquent fort de devoir affronter des élections qu’ils redoutent tant…
T. H.