Notre critique de Mad Max Univers Brûlant.
Quel meilleur moment que la crise du coronavirus pour contempler la fin du monde ? C’est ce qu’ont dû penser les réalisateurs Jac & Joan en décidant, il y a deux semaines, de publier sur Viméo leur documentaire en deux volets Mad Max Univers Brûlant.
Sorti en 2016 avec le soutien de Canal + Cinéma, ce bijou audiovisuel nous plonge dans le monde déchu de la saga Mad Max. Avec son esthétique retro-punk léchée, Mad Max Univers Brûlantrend un hommage vibrant au genre « post-apocalyptique ». Le morceau ‘Civilization’ de Justice introduit musicalement chaque volet du diptyque, et ça marche tellement bien, tant pour les paroles que pour les sonorités synthétiques, qu’on croirait qu’il a été écrit exprès cinq ans auparavant !
Le documentaire explore le contexte culturel et les différentes thématiques de l’œuvre, en articulant les commentaires d’intervenants prestigieux, parmi lesquels nul autre que George Miller himself, le réalisateur de la saga. Pour éviter la monotonie d’une succession d’images d’archive et de faces-caméra, Jac & Joan illustrent ces commentaires par des animations entrecoupées d’extraits de films. Ces animations, réalisées par le studio Fauns, évoquent le comics Tank Girl de Jamie Hewlett (le dessinateur de Gorillaz) – ce qui colle parfaitement à l’univers désertique et violent de Mad Max.
De la civilisation à la destruction, et retour
La première partie, intitulée ‘Destruction’, est la plus intéressante. Elle débute sur une liste des catastrophes qui ont nourri l’imaginaire post-apocalyptique, depuis les bombardements nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki jusqu’à la crise migratoire de 2015, en passant par le choc pétrolier de 1979, concomitant de la sortie du premier Mad Max, qui marqua la naissance du genre. Ensuite, George Miller, Guillermo del Toro, Hideo Kojima (Metal Gear, Death Stranding), les critiques Rafik Djoumi et Rob Ager, et Noam Chomsky abordent l’œuvre sous ses différents angles (archétipal, mythologique, spirituel, écologique, etc.) Certaines réflexions surprennent le spectateur et stimulent son imagination – par exemple, les rapprochements entre Max et le monomythe de Campbell, ou entre Immortan Joe et Odin, le chef des dieux vikings. D’autres commentaires, surtout ceux de Chomsky, enfoncent des portes ouvertes sur la méchante humanité qui détruit la gentille planète à cause de « notre cupidité et [de] notre bêtise » (dixit Guillermo del Toro).
La seconde partie, intitulée ‘Civilisation’, remet une couche de moraline. Malgré quelques réflexions stimulantes d’intervenants supplémentaires (le philosophe Francis Wolf sur la dichotomie civilisation-barbarie, le papa d’Albator, Leiji Matsumoto, sur la vision cyclique du temps, et le créateur de Ghost in the Shell, Mamoru Oshii), les prédictions de fin du monde et les leçons de morale prennent le pas sur l’analyse culturelle et cinématographique. Que je me fasse bien comprendre : on ne peut évidemment pas parler du genre post-apocalyptique sans aborder les inquiétudes géopolitiques et écologiques qui constituent sa matière première. Cependant, par rapport au flux de l’actualité quotidienne qui nous happe, le format documentaire devrait nous permettre de prendre du recul pour questionner le catastrophisme ambiant.
En finir avec la fin du monde
La crise du coronavirus, ainsi que les crises financière, économique et sociale qui suivront, nous rappellent à quel point le progrès et la civilisation sont choses fragiles. Et la débâcle actuelle du gouvernement belge témoigne contre l’insouciance et l’impréparation. Les défis environnementaux et sanitaires impliqués par une population mondiale nombreuse sont réels. Mais l’espèce humaine a de tout temps rencontré ces obstacles sur son chemin, et malgré tout elle n’a jamais été mieux nourrie et en meilleure santé qu’aujourd’hui. Comme l’admet le réalisateur de Mad Max, entre deux couplets moralisateurs sur la-fin-du-monde-qui-est-proche, « nous sommes toujours là et nous survivons ».
Ce simple fait mérite que l’on retourne contre elle-même la critique catastrophiste de notre société, pour mieux dévoiler ses soubassements réactionnaires. Plutôt que Noam Chomsky, dont on connaît par cœur les refrains anticapitalistes, on aurait aimé entendre le sociologue Frank Furedi au sujet de la culture de la peur, dont Mad Max est la représentation cinématographique la plus aboutie. Les philosophes Rémi Brague et Martin Foëssel auraient pu parler de notre sentiment de « perte du monde » et de ses rapports avec l’imaginaire post-apocalyptique. Mad Max, Akira, et les films du même genre, en disent plus long sur notre condition acosmique de modernes inconsolés, que sur l’état actuel du monde.
En conclusion, Mad Max Univers Brûlant est un plaisir visuel et sonore, mais qui déçoit sur le terrain de l’analyse et de la critique culturelle. Pour les amateurs du genre.
Nicola Tournay