Notre critique de Que faire ? Vivre avec le déclin de l’Europe, de David Engels.
Le 15 avril 2019, l’Occident stupéfait regardait la flèche et la toiture de Notre Dame de Paris partir en fumée. Des milliers d’Européens qui n’avaient plus mis un pied dans une église depuis leur grande communion se sont mis à prier pour que cet Enfer s’arrête. Quand les flammes se sont éteintes, tout le monde a pu contempler l’ampleur des dégâts sur l’écran de son smartphone. La mythique cathédrale était dévastée, comme la France, et comme la maison Europe qui continue de brûler jusqu’à ce jour. Comment ne pas se laisser soi-même emporter par les flammes ?
C’est à cette question qu’entreprend de répondre David Engels dans Que faire ? Vivre avec le déclin de l’Europe, publié deux mois après l’incendie de Notre Dame. Dans son précédent livre Le Déclin, l’historien belge comparait notre époque contemporaine à la république tardive romaine, d’un ton détaché. Dans Que faire, l’historien s’efface derrière l’homme, derrière le père de famille chrétien et conservateur1 dans une Europe qui honnit son passé, et le ton s’en trouve plus incarné, oscillant entre le désespoir et l’espérance. Que faire est donc un livre personnel, sans prétention à l’objectivité, qui nous donne une vingtaine de conseils pour vivre dignement en sachant que « demain ne pourra qu’être pire qu’aujourd’hui ».
Le pire est certain
L’auteur commence par valider en quelques pages les pires prédictions de la « droite »2 européenne : oui le régime politiquement correct va devenir toujours plus autoritaire et liberticide, oui notre niveau de vie va inéluctablement baisser et les inégalités sociales vont se creuser, oui l’immigration de masse conjuguée à l’Islam politique nous mène droit à la guerre civile et ethnique, etc. David Engels dresse un portrait lugubre de l’Europe de demain. Je diverge de l’auteur sur plusieurs points : par exemple, quand il fulmine contre « l’ultra-libéralisme économique » là où je vois des dépenses publiques qui explosent et des États qui taxent et réglementent tout ce qui bouge, ou quand il déplore les dégâts causés à la nature sans mentionner nos progrès indéniables en matière d’efficience environnementale. Mais ce sont des points de détail. Sur le gros du constat, n’importe quel Européen qui a des yeux pour voir devrait tomber d’accord : notre civilisation touche à sa fin, et ce déclin inéluctable trouve sa source dans un « vide spirituel ».
Étant donné le caractère fondamental de ce « vide spirituel », on est étonné de ne retrouver le conseil « croire » qu’à la dix-septième place, après « peser les mots ». Cette injonction à croire, qui réapparaît régulièrement dans la littérature conservatrice depuis au moins de Tocqueville, est aussi la plus difficile à suivre pour le non-croyant que je suis. Comment se forcer à croire que les roses rouges sont bleues quand on voit bien qu’elles sont rouges ? Ou faut-il faire semblant, en subordonnant la sincérité de la croyance à son utilité sociale ? C’est ce que prônait Charles Maurras, et l’Église catholique l’a excommunié pour cette raison.
La lumière au bout du tunnel
D’autres conseils ont laissé interdit le lecteur millenial typique que je suis : il faut devenir propriétaire – avec quel argent ? Fonder une famille – où est le mode d’emploi ? Quitter la ville – et les soirées sushis-Netflix du vendredi ? Blague à part, l’auteur accompagne chacun de ses conseils d’arguments frappés au coin du bon sens. Et même si le livre est court et se laisse lire rapidement, je me suis surpris à de multiples reprises en train de le poser pour méditer quelques minutes sur ma vie. Et à la fin, en le refermant, je me suis senti libéré d’un poids. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ça fait du bien de s’entendre dire que tout fout le camp, réellement. Ça fait du bien d’entendre qu’on n’est pas le seul à le penser, et c’est un soulagement d’apprendre qu’on peut vivre dignement au cœur de l’incendie. Parce qu’un feu finit tôt ou tard par s’éteindre, et qu’il restera toujours des choses à sauver et à transmettre.
Pour conclure, dissipons un possible malentendu : Que faire n’agit pas comme une prophétie auto-réalisatrice en prônant le repli sur soi et la dépolitisation. Que du contraire, l’invitation à « désobéir » se trouve en bonne troisième place dans la série des conseils. Mais avant de pouvoir se lancer dans l’action collective (et en attendant que le système succombe à ses propres contradictions), il faut soi-même incarner au quotidien les principes sur lesquels ont entend refonder la société. Ce n’est que de l’honnêteté. Puis, on ne part pas en guerre sans s’être armé au préalable.
Nicola Tournay.
1 C’est moi qui appose l’étiquette.
2 Je mets des guillemets, car l’auteur refuse les étiquettes « gauche » et « droite », et recommande qu’on s’en débarrasse. On comprend d’autant mieux son point de vue qu’il vit en Pologne, où le parti au pouvoir allie avec un succès électoral certain une politique économique « de gauche » et un agenda culturel « de droite ».