C’est ce que prétend un expert britannique.
Le confinement « marche ». Au lieu de décrire une exponentielle à l’italienne, la courbe des contaminés hospitalisés monte lentement, laissant au gouvernement le temps d’augmenter les capacités de soin intensif et de repousser à la semaine suivante le moment fatidique où les hôpitaux seront débordés. Nous sauvons effectivement des vies en réduisant nos contacts et en restant calfeutrés chez nous. Hourra ?
Pas si vite. Le lockdown à un coût, d’abord pour nos libertés, mais aussi pour notre économie. Du FMI à l’Union Wallonne des Entreprises, tous les acteurs économiques et politiques s’accordent sur l’imminence d’une récession mondiale, qui pourrait être pire que la Grande Dépression de 2008. Or, comme le rappelle le Britannique Toby Young dans un article pour The Critic, quand l’économie se contracte, plus de gens meurent. À cause de l’augmentation de la pauvreté, de la violence et aussi du taux de suicide. Arrêtons-nous sur ce dernier point, car la Belgique est déjà le cinquième pays européen avec le plus haut taux de suicides. En moyenne, six personnes se donnent la mort chaque jour, principalement des hommes. Or, bien qu’aucune statistique reflétant le confinement ne soit encore disponible, les bénévoles qui se relaient à la permanence téléphonique du Centre de prévention du suicide ont constaté une tendance à la hausse des appels.
Les crises économiques tuent aussi
Toby Young se base sur un papier de Philip Thomas, professeur de gestion du risque à l’Université de Bristol, qui a calculé que si le PIB du Royaume-Uni chutait de plus de 6,4 % par personne en raison du confinement, plus d’années de vie seraient perdues que sauvées. C’est d’autant plus inquiétant que ses calculs se basent sur les estimations extrêmement pessimistes du Imperial College, qui surestiment probablement la mortalité du coronavirus. Le professeur Thomas rappelle que le PIB par habitant avait chuté de 6 % au Royaume-Uni lors du krach financier de 2007-2009. Or, de nombreux économistes prévoient que l’impact négatif du confinement sera au moins deux fois plus important.
La Belgique n’est pas le Royaume-Uni, et à ma connaissance nous n’avons pas d’étude nationale attestant d’un lien entre pic de mortalité et crise économique. En 2009, le PIB belge n’avait chuté « que » de 3 %, et le taux de mortalité avait continué sur sa tendance baissière. Mais la crise du coronavirus ne sera pas non plus qu’une répétition du crash de 2008. Et le lien entre perte de revenu et risque accru de mortalité n’est plus à démontrer : manquer d’argent, c’est manquer d’opportunités de se soigner, de cultiver ses relations sociales, de voyager, etc.
Or, d’après une étude menée par le Syndicat Neutre des Indépendants, le chiffre d’affaires aurait baissé de 50 % pour plus de la moitié des indépendants. Souvenons-nous qu’il y a quatre ans, le même syndicat nous alertait qu’un indépendant se suicidait tous les trois jours. Les salariés mis au chômage technique doivent aussi se serrer la ceinture. La situation est potentiellement explosive. Qu’en conclure ?
Qu’il faut respecter le confinement, bien sûr, et se féliciter des vies sauvées à court terme. Mais n’oublions pas que ce confinement à un coût, et que plus ce confinement dure, plus ce coût s’accroît. Il est de bon ton, dans les médias traditionnels comme sur les réseaux sociaux, de clamer qu’il faut « sauver des vies, pas l’économie ». C’est touchant, mais extrêmement réducteur. L’économie, c’est la vie, et inversement. Et nous devrions redouter le moment où le coût du confinement l’emportera sur ses bénéfices, autant que nous redoutons le pic hospitalier. Quand tout cela sera passé, n’oublions pas de présenter la facture au gouvernement qui a fermé les frontières trop tard et qui n’a pas prévu suffisamment de masques et de tests.
Nicola Tournay