AGRICULTEURS : NOURRIR SANS MOURIR – Lost in Transition (6/10) (Màj)

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Le monde agricole, contraint de
Les agriculteurs contraints de "marcher sur la tête". Image Pexels (retournée par solidarité avec le monde agricole)

Une jeune agricultrice a été tuée, percutée par une voiture bélier sur un barrage à Pamiers. Sa fille de 14 ans gravement touchée vient de décéder à son tour. Reste son époux, dans un état critique. Un cap de plus a été franchi dans la douleur d’une corporation qui voit ses effectifs se réduire comme une peau de chagrin sur fond de suicides en masse et d’effondrement du nombre d’exploitations. En Belgique, le nombres d’exploitation a baissé de 70% en cinquante ans. En France, chaque jour, deux agriculteurs mettent fin à leurs jours. Ce secteur connaît un risque de suicide 30% supérieur aux autres professions.

Le délitement de tout un secteur

En Europe, le malaise du monde agricole ne date pas d’hier. Voilà des décennies qu’il souffre dans un silence émaillé d’actions, parfois spectaculaires, mais sans grands résultats. Aujourd’hui, la grogne touche de nombreux pays et s’inviter sur la scène politique. Les résultats des élections aux Pays-Bas ont eu l’effet d’un électrochoc. De la Pologne à l’Espagne en passant par la Roumanie et aujourd’hui la France et même la Belgique, les agriculteurs se rappellent au bon souvenir de leurs élus.

L’agriculture est un secteur difficile. Il demande un investissement total et une soumission aux règles d’une Nature qui finit toujours par avoir le dernier mot. Si la seconde moitié du XXe siècle a poussé les fermiers à l’industrialisation pour tenter de s’affranchir des vicissitudes du vivant, on constate aujourd’hui les limites de ce modèle. Les fermiers ont progressivement cessé d’être des paysans pour devenir des exploitants agricoles.

Le piège politique qui a emporté la paysannerie puise certainement ses racines dans l’immédiat après-guerre, lorsque les tracteurs du Plan Marshall ont débarqué en Europe pour remplacer les animaux de trait. Au sortir de la guerre, il fallait nourrir une Europe affamée qui avait connu beaucoup de pertes. Plus rentable et plus facilement maniable par une femme, le tracteur a remplacé le boeuf ou le cheval de trait. Ce faisant, c’est aussi tout un paysage qui a été bouleversé par une politique de remembrement agricole qui, si elle facilitait le travail de la terre allait aussi détériorer les fonctions d’un paysage, des aménagements séculaires qui protégeaient les exploitations. Aujourd’hui, nous en mesurons les conséquences en terme de drainage ou de fertilité des terres.

C’est ainsi que le monde politique s’est immiscé dans la vie de la ferme pour ne plus jamais lâcher son emprise. Ensuite, la construction européenne s’est attachée à faire de la politique agricole une de ses priorités à travers la PAC. Le monde agricole s’est alors retrouvé piégé dans le jeu des subsides. Payés pour produire tantôt plus, tantôt moins et souvent moins bien, de nombreux exploitants agricoles sont aujourd’hui des techniciens qui adoptent des process et des produits destinés à générer les récoltes attendues par les groupes agro-alimentaires qui « louent » leurs services. Cette course à la productivité a aussi conduit de nombreux agriculteurs à se surendetter pour acheter du matériel extrêmement coûteux.

A l’autre bout de la chaîne, l’apparition des grandes surfaces et la multiplications des intermédiaires (transporteurs, coopératives, abattoirs, moulins,…) a conduit à l’érosion des marges pour l’exploitant. « L’Etat stratège » a eu aussi la main très lourde. La fiscalité sur le travail empêche de nombreuses exploitations d’embaucher du personnel. La charge de travail repose le plus souvent sur l’exploitant et sa famille. Et comme il devient de moins en moins rémunérateur, souvent les femmes d’agriculteur cherchent un emploi fixe en dehors de la ferme pour permettre au ménage de nouer les deux bouts.

La régulation malheureuse

En France, à l’époque où il était ministre de l’agriculture, Bruno Le Maire avait déjà tout faux dans la gestion du marché du lait en instaurant la « contractualisation » qui conduit à l’institutionnalisation d’un contrat léonin : concrètement, les producteurs vendent leur lait à un prix qui est fixé postérieurement au contrat de vente… Le même Bruno Le Maire qui sévit désormais à l’Economie et aux Finances, est aujourd’hui accusé par les agriculteurs de les exploiter aujourd’hui comme variable d’ajustement pour régler ses problèmes d’inflation tout en noyant le poisson dans un double discours. Malgré le renchérissement des matières premières, des engrais et des carburants, c’est sur eux que le gouvernement choisit de faire reposer une limitation des prix si importante pour limiter le ressenti de l’inflation auprès de l’électeur qui aura à se prononcer cette année.

A tout ceci, il faut encore ajouter les normes environnementales décidées à l’échelon européen qui sont sur le point d’entraver le travail des agriculteurs en leur imposant des obligations impossibles à tenir. Elles auront été cette goutte qui a fait déborder le vase d’une colère qui n’est pas prête de se tarir. La galaxie des ONG environnementales qui colportent des discours simplistes mesure-t-elle le niveau de détresse de tout un secteur, celui qui nourrit 500 millions de consommateurs ? Rien n’est moins sûr… Dans le Sud de l’Espagne, en Andalousie, des projets de production d’hydrogène vert sont sur point de confisquer le peu d’eau qui reste disponible pour l’agriculture alors que les terres arables sont déjà accaparées afin d’y installer des parcs d’éoliennes ou de panneaux solaires. Aux Pays-Bas, comme en Belgique, ce sont les émissions d’azote aux abords des zones Natura 2000 qui posent le plus de problèmes. On pourrait encore évoquer les accords commerciaux négociés au niveau européen qui créent des distorsions de concurrence au détriment de nos producteurs et des consommateurs. Ainsi, la géopolitique pèse aussi sur nos agriculteurs. En ouvrant ses frontières aux produits ukrainiens (et cela sans quotas), l’UE condamne ses fermiers à subir une concurrence à la fois déloyale et massive. Les problèmes ne se cantonnent pas à la Pologne frontalière. En réalité, c’est l’ensemble du marché européen de la volaille qui est impacté puisque désormais environ 30% de cette viande provient d’Ukraine.

Sans un sursaut immédiat, l’« Europe stratège », son Pacte vert, sa PAC et sa politique étrangère emporteront le peu qu’il reste d’agriculture. Ce ne sera plus alors le drame des seuls agriculteurs, mais celui de tout un continent qui aura sacrifié sa souveraineté alimentaire. C’est la marque de fabrique d’un système qui « marche sur la tête« . En attendant, les agriculteurs marchent sur Paris…

T.H.