Dimanche dernier, ce que l’Europe comptait d’opposants aux mesures sanitaires a battu le pavé bruxellois dans un grand mouvement qui ressemble fort à une convergence, bigarrée, des luttes.
Ils étaient 50.000, selon la police. Non, 500.000 ont précisé les organisateurs de la Manifestation européenne pour la démocratie. La réalité se trouve quelque part entre ces deux valeurs comme le montrent les nombreux clichés de l’événement. En les comparant à ceux de la première marche blanche qui avait rassemblé 300.000 personnes dans la foulée de l’affaire Dutroux, on peut affiner son estimation..
Mais la question ici n’est pas tant celle du nombre de participants que celle de leur profil.
L’Union fait la force
Ils sont venus de partout : de Belgique bien sûr. Mais aussi de Suisse, des Pays-Bas ,d’Espagne, du Sud Tyrol, du Grand-Duché de Luxembourg, du Portugal donnant à ce cortège géant des allures festives d’Eurovision où chacun y allait de son folklore et de ses marqueurs d’identité, agréablement sonores lorsqu’il s’agit de cloches qui résonnent habituellement dans les alpages. Dans cette masse « bon enfant », on pouvait croiser une mamy en vison aux côtés d’une bande de camarades déguisés en licornes ou même des syndicalistes de la FGTB taper un brin de causette avec des jeunes militants flamands du Vlaams Belang. Magique ? Non, simplement logique. Chacun a amené son identité avec fierté pour apporter de façon nominative mais non exclusive sa pierre à l’édifice de la liberté.
Des ennemis de toujours ont réussi à enterrer la hache de guerre et à faire cause commune, le temps d’un immense clapping. Voilà qui devrait en faire réfléchir plus d’un. Et cela d’autant plus qu’en discutant avec l’un ou l’autre manifestant, on réalise que ce combat en faveur de la liberté ne se limite pas à la seule logique sanitaire. Les attentes sont beaucoup plus larges : Ce dimanche, ils étaient nombreux à s’inquiéter de l’évaporation de la liberté de rouler en voiture ou de chauffer son logement sans avoir à remplacer sa chaudière… Progressivement, les barreaux fiscaux qui enferment nos vies en conditionnant à peu près tous nos comportements finissent par sauter aux yeux des manifestants. Même si les drapeaux flamands étaient nombreux, pas sûr qu’ils aient eu le monopole des fumigènes de couleur jaune, qui eux aussi étaient bien visibles dans le cortège. Ramener cette manifestation à un combat d’extrême-droite ne recoupe ni la réalité du terrain, ni la diversité des organisations qui se sont mobilisées pour en faire un succès de masse.
Ce gigantesque mouvement qui a délivré un message de défiance en toute convivialité ne pourrait être entamé par les quelques débordements en marge qui relèvent de la norme statistique puisque tout événement de masse attire ses casseurs. Or ici, vu l’étendue et la durée de la manifestation, on peut saluer globalement le peu de troubles. Peut-être auraient-ils été encore plus limités si la police avait correctement ciblé les fauteurs de troubles plutôt que d’actionner l’auto-pompe sur des manifestants qui quittaient tranquillement le parc du Cinquantenaire, en les balayant dans le dos, par surprise.
Mais la meilleure illustration de la recomposition du corps social qui est en train de s‘amorcer à l’occasion vient peut-être de la police. De nombreux manifestants ont salué des policiers qui leur ont fait comprendre par des gestes convenus, qui un pouce en l’air, qui un genou à terre, leur solidarité dans cette volonté de préserver nos libertés communes.
La démocrature en question
Au final, si des mouvements LGBT, des syndicalistes historiques, des catholiques conservateurs, des écologistes old school, des jeunes nationalistes trouvent un terrain d’entente dans ce qu’ils dénoncent comme une confiscation de leurs libertés fondamentales, que reste-t-il dans le camp d’en face sinon des individus extrêmement déterminés à se cramponner au pouvoir?
A priori, la pandémie n’a été un cadeau pour aucun régime. Ce qui est étonnant, c’est de constater parfois le décalage abyssal entre leur nature prétendument démocratique et l’effacement du processus démocratique dans l’adoption des mesures sanitaires. Un pays comme la Belgique s’est révélé anormalement liberticide. Et cela d’autant plus que son gouvernement s’apparente avant tout à une coalition de perdants donnant à la population l’effet d’une double peine. Mais conscient de sa fragilité, c’est aussi cela qui le pousse à se maintenir « quoi qu’il en coûte ». Finalement, étrangement, une démocratie illibérale telle que la Russie s’est montrée plus respectueuse des libertés fondamentales de ses citoyens.
Dans nos social-démocraties qui ont pris goût aux pouvoirs d’exception, la population aurait sans aucun doute accepté un mea culpa de la part d’un exécutif débordé car personne au monde n’était préparé à une telle pandémie (malgré les signes avant-coureurs depuis une vingtaine d’années).
Le problème, c’est que l’incompétence, tant au niveau des gouvernements occidentaux que de la Commission européenne ne se limite pas aux questions sanitaires. Aujourd’hui, l’inflation galopante est LE problème majeur qui gagne le monde occidental. C’est l’incendie qui sonne la fin de l’argent magique sur fond de taux zéro. Le retour au réel s’est invité avec fracas dans les factures des ménages. Tous n’ont pas encore établi tous les liens de causalité, mais les consciences s’éveillent à mesure que le pouvoir d’achat se réduit.
On comprend dès lors la tentation des Etats les plus endettés, comme le nôtre, à jouer la diversion en instrumentalisant le petit Omicron pour en faire un monstre qui cachera les caisses vides et le sol qui va s’effondrer sous la remontée des taux ! Les manifestants aussi ont compris que l’Ukraine n’était pas leur problème et qu’elle ne serait pas la rustine qui ressoudera les fractures de la société en les jetant à nouveaux dans les bras de leurs élus.
Il n’en sera rien. La confiance entre le peuple et ses « élites » gouvernantes est rompue. Il sécrète ses anticorps et se constitue l’immunité sociale utile à la défense de ses libertés fondamentales. Quant aux messages délivrés par la presse officielle, ils passent de moins en moins bien et finissent par provoquer la nausée, comme un plat ultra-périmé.
C’est à tout cela que j’ai assisté, dans la bonne humeur, dimanche dernier.
Tatiana Hachimi