Le nucléaire est l’avenir de l’électricité

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le nucléaire est l'avenir de l'électricité.
Photo Pixabay, le nucléaire est l'avenir de l'électricité.

une interview du Professeur Furfari

Alors que les exigences environnementales poussent certains pays à la restriction des énergies fossiles, l’énergie nucléaire se profile comme une alternative propre. Les derniers développements industriels dans ce secteur offrent aussi des perspectives très intéressantes pour des zones dans le monde  qui restent mal desservies en énergie. Le Professeur Samuele Furfari fait le point dans B-Mag sur les développements récents dans le secteur et leurs possibles applications à court-terme sur le terrain.

S.F. : Tout d’abord, il est important de rappeler des éléments qui semblent évidents mais qu’il convient de ne pas perdre de vue pour conserver une vue pragmatique des enjeux énergétiques.

L’électricité n’est qu’une forme d’énergie, la plus importante dans notre quotidien. Toutefois, c’est la moins importante en termes de volume car elle ne représente que 22% de la consommation d’énergie. La course aux énergies renouvelables – qui pour les écologistes est synonyme d’éoliennes et panneaux solaires, qui ne concerne par définition que l’énergie électrique, ne nous permettra jamais que de résoudre au mieux ces 22% de nos besoins énergétiques.

De la même façon que le renouvelable, l’énergie nucléaire est exclusivement utilisée pour produire de l’électricité. 

B-Mag : Comment voyez-vous la sortie du nucléaire pour la Belgique

J’y vois quelque chose de très dommageable pour le pays. Les politiciens ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Le problème ne date pas d’hier. Ils ont eu des années pour défendre le nucléaire. Les gens n’ont pas osé exprimer combien ils tenaient au nucléaire. Il est aujourd’hui trop tard. Engie qui vient de tourner la page du nucléaire vendra désormais de l’électricité produite avec des centrales au gaz subsidiées (NDLR: le consommateur/électeur/contribuable paiera)

C’est une terrible régression pour notre pays qui était à la pointe dans le domaine. Le réacteur BR3 de Mol était le premier réacteur à eau pressurisée (PWR) en dehors des Etats-Unis. C’était un cadeau des Américains à la Belgique dans l’immédiat après-guerre. Cela avait permis à la Belgique de développer toute une filière et de se montrer innovante en la matière. Un projet comme Myrrha qui doit conduire à la construction d’un prototype de réacteur nucléaire alimenté par un accélérateur de particules, est ainsi fragilisé à terme. Le gouvernement va-t-il continuer à financer et à investir dans cette voie puisqu’elle est abandonnée pour la génération d’électricité ? 

Dans la sortie du nucléaire, outre la casse sociale, il y a plus dramatique que la fermeture de Tihange et Doel :  l’arrêt de la filière dans son ensemble, avec ses chercheurs, ses innovations et ses applications industrielles. Nos universités formaient des nucléaristes. Il n’y a plus d’avenir pour eux ici. Il en va de même pour tous les sous-traitants. Outre la perte d’une source bon marché de production électrique ça fait énormément d’emplois très qualifiés perdus…

B-Mag : La Belgique n’est plus dans la course. Mais qu’en est-il des autres pays?

Aujourd’hui, le pays qui construit le plus de réacteurs est la Russie. Les Russes ont développé des technologies qui n’ont plus rien à voir avec Tchernobyl. Leurs réacteurs sont aujourd’hui aussi sûrs que les nôtres. Leur business model est redoutablement efficace. Outre la centrale, ils fournissent le know-how, l’uranium et le recyclage des « déchets » (en réalité du combustible éteint). Et pour tout cela, ils ne demandent qu’à se faire payer sur la vente d’électricité offrant ainsi une solution efficace sans la moindre prise de risque financier. 

Ils ont ainsi équipé la centrale de Paks en Hongrie afin de permettre au pays de se conformer aux exigences de baisse d’émission de gaz à effet de serre. A l’époque, Victor Orban avait réussi à négocier avec l’ancien Commissaire européen à l’Energie, Oettinger, de remplacer son ancien réacteur qui datait de l’époque soviétique par un réacteur russe de nouvelle génération. 

Aujourd’hui, il y a des dissensions au sein des Pays Baltes autour du nucléaire russe. La Lettonie et l’Estonie souhaitent acheter de cette électricité  à la Biélorussie qui a fait construire une centrale russe, Astravets, à cinquante kilomètres de Vilnius qui, elle, voit d’un mauvais oeil arriver cette énergie (NDLR: ceci est probablement d’autant plus frustrant que les Lituaniens ont été contraints de fermer leur centrale d’Ignalina pour devenir membre de l’UE). 

Il n’y a pas que les Russes… Les Chinois gagnent des parts de marchés en exportant leur technologie copiée des Européens. Ce n’est pas un hasard si leur réacteur «Hualong » signifie dragon… Ils viennent de connecter leur première centrale, complètement chinoise, au réseau en début de semaine. Ils sont présents en Grande-Bretagne avec les centrales de Sizewell et de Hinkley Points où ils se sont associés à EDF.

B-Mag : Et où en sont les Américains dans cette course?

Comme le privé a continué à investir dans la filière nucléaire, ils ont développé une stratégie calée sur les besoins. C’est ainsi que la société  NuScale  propose un Small Modular Reactor (SMR). Pour donner une idée de l’ordre de grandeur, Tihange et Doel ont une puissance de 1000 mégawatts et Flamanville, 1600 mégawatts, là où un SMR fournit 200 mégawatts. Ceci permet de construire le réacteur en usine, de le transporter par barge et de l’enterrer sur le site d’exploitation. Tout ceci permet de rendre le nucléaire à la fois beaucoup plus abordable et de mieux suivre la charge des éoliennes. Mais ne nous leurrons pas, si aux USA le privé est très investi dans la filière, l’administration Obama a tout fait pour encourager le secteur notamment en préparant l’octroi des autorisations lorsque les demandes de permis de construire seront introduites. Comme on parle nucléaire et qu’il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, cela a demandé un effort énorme à l’administration. On notera que durant huit ans, la politique énergétique d’Obama a été remise entre les mains de nucléaristes comme Steven Chu, prix Nobel de physique nucléaire ou Ernest Moniz, professeur au MIT. Les Démocrates comme les Républicains se sont efforcés de tout mettre en oeuvre pour que le premier réacteur puisse être opérationnel dès 2025 dans l’Utah. Les Américains ont compris que les Russes et les Chinois étaient en tête et ils mettent tout en oeuvre pour revenir dans la course, y compris sur le volet de la production nationale d’uranium. Sur le plan commercial, ils ont attaqué le marché européen en signant des accords bilatéraux avec la Roumanie afin d’y développer la filière CANDU. On peut imaginer que la Commission n’ait pas apprécié, mais elle n’a pas pu s’y opposer puisque dans  le cadre du traité Euratom les États membres peuvent le faire. 

Il faut ajouter que dans cette course aux petits réacteurs, les Russes ont inauguré en août 2019 avec l’Akademik Lomonosov le premier réacteur nucléaire mobile. Celui-ci développé par Rosatom découle de la technologie exploitée pour les brise-glaces à propulsion nucléaire. Cet outil offre un formidable potentiel de multiplication et de transposition commerciale. On imagine les nombreux pays, en Afrique par exemple, où il est impensable de construire une centrale nucléaire. Comme le navire-centrale reste la propriété du constructeur, on peut l’imaginer comme une sorte de groupe électrogène géant… Ce serait un progrès par rapport au  bateau turc au large de Beyrouth qui produit de l’électricité à partir de fuel cher et polluant pour desservir la ville.

B-Mag: Quelle place pour l’Europe?

Ici, les gens n’ont pas conscience de leurs besoins en électricité. La digitalisation accrue de notre société implique une augmentation de ceux-ci. Et quand on songe aux 350 millions d’Indiens qui n’ont pas accès à l’électricité comme la moitié de l’Afrique, on réalise qu’il y a un marché futur pour l’électricité absolument gigantesque. La Belgique aurait pu exploiter son savoir-faire en la matière et permettre à des milliers d’entreprises de se développer. La désindustrialisation du continent est hélas à l’oeuvre. Même en France où le nucléaire était inscrit dans l’ADN, on constate que les ensembliers qui étaient leaders finissent par devenir sous-traitants des Russes ou des Chinois. D’autres secteurs risquent d’en faire les frais en Belgique. Le port d’Anvers est le deuxième pôle pétrochimique au monde après Houston. La Belgique acceptera-t-elle de se mettre en porte-à-faux avec les conventions internationales auxquelles elle se lie? Ou bien sacrifiera-t-elle ce fleuron comme elle a tourné le dos au nucléaire?

Propos recueillis par Tatiana Hachimi