Lors du conseil européen extraordinaire de ces 17-20 juillet dernier, les dirigeants se retrouvaient à Bruxelles pour débattre du plan de relance pour faire face à la crise COVID-19. Mais pas que ! Non prévu à l’ordre du jour officiellement mis en ligne : la désignation du candidat belge au poste de procureur européen à Luxembourg. L’affaire traînait depuis longtemps, le processus ayant commencé en mars 2019. La Belgique devait sélectionner ses trois meilleurs profils pour ce poste qui requiert une probité hors de tout soupçon, une compétence technique et la maîtrise de l’anglais puisque ce magistrat européen sera chargé de lutter contre la fraude portant atteinte aux finances de l’UE.
Il n’y a pas de bruit autour de cet appel public à candidature qui a rassemblé six candidats dont trois devaient ressortir pour finalement être présentés à l’Europe. Sur les trois candidats choisis, deux sont issus des cabinets ministériels. L’un d’eux, Yves Van Den Berge, ex-substitut du procureur général près la Cour d’appel de Gand connu pour avoir requis dans l’affaire Kim De Gelder, le tueur de la crèche de Termonde, se profile comme haut limier de la finance pour tenter de quitter le plancher des vaches avec le soutien de son patron, Koen Geens. La réalité est quelque peu différente. Il est surtout le chef de cabinet adjoint du ministre de la justice, ce dernier l’ayant par ailleurs chargé de la réforme du droit pénal. Nul ne doute qu’après le coup de pinceau de ce tandem qui en redéfinit les contours à sa façon, la justice pénale sera encore plus impartiale.
Côté expertise en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et la fraude fiscale, il est intéressant d’épingler que l’ex-substitut du procureur ne compte, par exemple, aucune transaction en matière financière à son actif. Notre candidat belgo-belge sorti de l’ombre grâce à une sordide tuerie dans une crèche n’a pas davantage été chef d’une section économique et financière. Par contre, il est grand fan de Koh-Lanta, davantage pour sa dimension stratégique que sportive. Alors, en tant que bras droit du ministre de la Justice, il a lui-même préparé le dossier de sélection et proposé deux candidats à l’Europe : un candidat qui n’est théoriquement pas éligible et lui-même.
L’Europe ayant exigé trois noms et notre ministre aimant agir dans l’ombre, sans faire de vagues, celui-ci reprendra la main pour remettre un semblant d’ordre dans ce dossier cousu de fil blanc et rendre à l’Europe une nouvelle copie avalisée par le collège des procureurs généraux où siègent quelques CD&V. Certes, les magistrats professionnels de l’Europe ne veulent pas vraiment du bras droit de Koen Geens qu’ils estiment incompétent pour la fonction. Évidemment, ce n’est pas le recours au Conseil d’État de la magistrate Laure du Castillon dont la candidature n’a pas été retenue qui bloquera la nomination européenne. Quand la juridiction tranchera sa demande en suspension et annulation du processus de sélection, le poulain gagnant de Koen Geens sera déjà aux manettes.
Qu’à cela ne tienne donc, notre ministre d’une notion déjà galvaudée persiste à faire fi de l’avis des magistrats européens pour faire passer en force son petit protégé, cette fonction revenant au CD&V en vertu d’une règle tacite qui assure une redistribution des mandats et hauts postes qui touchent de près ou de loin à la compétence de chacun des ministères concernés. D’ailleurs, nos actuels deux hauts dignitaires européens membres du MR ayant pu bénéficier du soutien du CD&V, il serait de bon ton qu’ils s’inclinent en soutenant leur candidat-procureur européen, le plus mauvais de tous, contre l’avis du panel européen de sélection.
Pour ceux qui l’ignoraient encore, la Belgique n’est pas une méritocratie ; elle est le terrain de jeu des coalitions pour leurs petits arrangements post électoraux. Une plaine de jeux ne doit pas être grande pour pouvoir s’y amuser, l’important est de pouvoir patauger dans la boue sans qu’on puisse vous le reprocher. Ainsi, après les beaux discours sur l’état de droit, place à l’action pour le petit pays donneur de grandes leçons : la désignation des 22 procureurs européens vient d’être entérinée. Est intronisé pour représenter la Belgique le parfait unilingue Yves Van Den Berge, soi-disant grand lutteur contre le blanchiment de capitaux, assis à la droite du père, troisième et dernier choix du panel de sélection de l’UE (après avoir férocement arraché cette dernière place sur la short list). Et cela malgré l’indignation de certains petits pays Balkans qui entendaient pourtant lutter contre un fléau et des mauvaises pratiques séculaires qui leur ont tant nui. Et d’amèrement constater que finalement, si l’Europe a les moyens financiers et humains pour engager d’autres juges Falcone et tenir des maxi-procès, en raison de son attachement à la partitocratie, elle n’en a ni le courage, ni les ressources politiques. Elle aussi est une grande adepte du « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
De surcroît, en cette période de crise sanitaire sans précédent et à l’aube d’une crise économique dévastatrice, qui sait si elle n’aurait pas davantage besoin d’œillères pour relancer une économie funeste que d’un ‘monsieur propre’ en son sein ? Peut-être estime-t-on en haut lieu qu’un piètre contrôle des dépenses de l’UE contre la fraude, de la répartition de la fortune européenne et des conflits d’intérêts serait susceptible d’apporter quelques bénéfices à l’échelon fédéral ou fédéré en ces temps difficiles ? À moins que nous ne soyons prosaïquement restés au niveau des discussions de marchand de tapis et qu’il sera peut-être un jour bien utile d’avoir un petit camarade inféodé au parti à un tel poste ? À force de nous distraire avec des futilités, nous ne voyons plus passer l’essentiel de l’intrigue qui se joue sous nos yeux et notre démocratie n’aura jamais été plus en danger qu’aujourd’hui.
Théo Cesku